"Tu ne peux rien faire, c'est comme ça, c'est Marseille" : dans une cité des quartiers nord, la résignation face à la violence
Emmanuel Macron est en déplacement à Marseille jusqu'à samedi. Le chef de l'État doit annoncer un "grand plan" pour la ville, confrontée notamment à une flambée des règlements de comptes depuis le mois de juin.
À Marseille depuis le début de l'année, quinze personnes sont mortes dans des règlements de comptes d'après le décompte du patron de la police judiciaire de Marseille. La dernière fusillade date de la nuit du samedi 21 août 2021 au dimanche 22, trois morts lors de la même nuit.
Quelques jours plus tôt, le 18 août, un autre règlement de comptes a marqué les esprits. Dans le 14e arrondissement de la ville, c'est-à-dire dans les quartiers nord, un adolescent de 14 ans est mort alors qu'il faisait le guetteur à l'entrée d'une cité, celle de Marronniers.
Pour y entrer, il faut esquiver les chicanes dressées juste avant le pont de chemin de fer. Des barricades montées avec des vélos, des palettes ou des chaises de jardin. Puis il faut passer devant deux guetteurs qui contrôlent les entrées. Le point de deal, lui, est installé en hauteur, derrière les tours, avec un deuxième point de contrôle doté de barrières.
C'est là que se trouvent trois jeunes en survêtement qui étaient dans le quartier quand l'adolescent de 14 ans a été assassiné : "14 ans wesh ! C'est pas 16 ans ou 26 ans. 14 ans c'est l'âge de mon petit frère. Moi j'étais là, à minuit mon pote m'appelle et me dit 'ça a tiré ils ont tué un petit', j'étais choqué. Tu ne peux rien faire, partout c'est comme ça, c'est Marseille."
Dans ce quartier, le fatalisme gagne les habitants face aux règlements de comptes qui se succèdent d'année en année. Comme le raconte Hassen Hammou, président du collectif "Trop jeunes pour mourir" créé il y a cinq ans, il y a une forme de résignation chez les familles des victimes : "Elles ne nous disent plus grand chose en réalité, et c'est ça qui est inquiétant. Elles n'espèrent plus. On n'a plus de réaction forte. Même nous, associatifs, le désespoir nous gagne souvent à vrai dire."
Des victimes toujours plus jeunes
Dans le trafic de drogue, un guetteur gagne 70 euros en moyenne par jour, 2 100 euros par mois. Pour l'échelon supérieur, celui du vendeur on arrive à 135 euros par jour soit environ 4 000 par mois. Ce sont les postes du bas de l'échelle mafieuse. Un gérant de point de deal peut toucher 6 000 euros mensuels. Cet argent attire même des jeunes venus d'autres villes pour dealer à Marseille. Les trafiquants y voient l'opportunité de contrôler une main d'oeuvre plus maléable, avec moins d'attaches, et moins facilement identifiable par les policiers.
Les réseaux recrutent aussi à dessein les mineurs, pour contrer le travail des enquêteurs. Au fur et à mesure, les adolescents de 16 ou 17 ans montent en grade dans la hiérarchie du trafic... ou sont arrêtés. Les nouvelles recrues sont donc de plus en plus jeunes, constate Rudy Manna, secrétaire du syndicat de police Alliance dans les Bouches-du-Rhône.
"Quand on interpelle un individu de 13, 14 ou 15 ans, il n'est jamais ennuyé judiciairement."
Rudy Manna, secrétaire du syndicat de police Alliance Bouches-du-Rhôneà franceinfo
"Si de surcroît c'est un jeune mineur sans papiers il est encore moins ennuyé et n'a aucun risque d'être renvoyé chez lui, ajoute le policier. L'attrait de l'argent fait qu'ils ont envie de participer à ça."
Notre guetteur, lui, l'assure, il va décrocher dans quelques jours et se former à la plomberie. Pas question de prendre une balle perdue pour rien, dit-il. Car cette violence est de plus en plus "aveugle" pour maître Alain Lhôte, avocat au barreau de Marseille. Il défend la famille d'un homme tué lors d'un règlement de comptes au mois de juin et évoque une "contagion mafieuse" : "J'ai le sentiment que parmi les victimes récentes, certaines n'avaient absolument rien à voir et n'avaient jamais été condamnées."
"On va abattre un gamin parce qu'on sait que son cousin est impliqué dans une affaire de trafic de stupéfiants."
Maître Alain Lhôteà franceinfo
"C'est la volonté de faire mal dans cette guerre des territoires qui n'en finit pas", estime l'avocat.
Pour enrayer cette spirale des trafics et des règlements de comptes, l'État essaie de s'attaquer à ces réseaux. Mais les stratégies mises en œuvre ne portent pas forcément leurs fruits. À l'image du "pilonnage", c'est comme ça que la préfète de police des Bouches-du-Rhône appelle la nouvelle stratégie mise en place depuis le début de l'année.
L'idée est de harceler les points de deal avec des contrôles très fréquents. Mais le bilan est mitigé. Officiellement ce sont un peu plus de 800 opérations depuis le début de l'année, selon le ministre de l'Intérieur, un record. Mais hors-micro des policiers nous expliquent qu'il s'agit d'une simple politique du chiffre car les trafics reprennent presque immédiatement, et les saisies et les suites judiciaires sont minimes.
"Quand vous interpellez en prenant des risques physiques, et que vingt minutes après ce trafic de stups est réinstallé avec d'autres individus, c'est évidemment décourageant."
Rudy Manna, secrétaire du syndicat de police Alliance dans les Bouches du Rhôneà franceinfo
"D'autant plus que parfois ces mêmes trafiquants, on les revoit au même endroit le lendemain en train de vendre", explique découragé Rudy Manna. Les policiers estiment qu’il faudrait plutôt mobiliser les effectifs sur les enquêtes longues, pour remonter les filières et frapper plus efficacement les réseaux. C’est d’ailleurs le sens de la demande qu’a formulée la procureure de Marseille Dominique Laurens, le 23 août, après trois fusillades pendant un week-end. Si elle se dit convaincue que la stratégie de "pilonnage" fonctionne, elle assure que "ce qui fonctionne aussi ce sont les enquêtes d’envergure faites par la police judiciaire". Elle alerte sur le fait que "ce sont des choses qu’il ne faut pas délaisser au profit de la partie émergée de l’iceberg".
Mais ces enquêtes sont chronophages et gourmandes en moyens humains, tant pour la police que pour la justice. "Ce sont des mois et des mois d’enquête", explique la magistrate Dominique Laurens "puis des mois et des mois d’instruction pour aboutir à des jours et des jours d’audience avec de très belles condamnations à la clé. On est sur des condamnations avec des années d’emprisonnement avec des mandats d’arrêt contre des personnes qui sont à l’étranger." Le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti lui a promis lors de sa visite, le 24 août, l’arrivée de onze magistrats à la rentrée.
Les policiers, eux, regrettent de ne plus pouvoir faire autant d’enquêtes longues qu’avant. Ils confient que cela devient de plus en plus compliqué parce que leur hiérarchie leur demande des interpellations rapides, pour là encore, afficher des résultats au plus vite.
Des associations se mobilisent pour projeter les jeunes vers l'avenir
A La Castellane, cité historiquement connue à Marseille pour les trafics de drogue, depuis 25 ans une association est mobilisée et portée par des personnes originaires du quartier. Assis autour d'une table dans un petit local en plein coeur de la cité, ils sont cinq enfants, en fin de primaire ou début de collège, pinceaux et crayons gras en main, ils préparent une maquette de la cité, sous l'oeil d'Hachmya Hamada, salariée à mi-temps. Ici, pendant les vacances, des activités manuelles ou sportives sont proposées tous les jours aux enfants, heureux de trouver quelque chose à faire.
L'objectif c'est de les occuper pour éviter qu'ils ne soient tentés par le trafic de drogue et c'est d'ailleurs pour ça que l'accent est mis sur les 6-14 ans car certains sont dès 12 ans guetteurs pour les trafiquants, avec 70 euros par jour à la clé en moyenne. ''Pour moi, c'est là où tout commence", explique Jamil Charnii, le président de l'association, qui a grandi ici.
"C'est à partir de là qu'on construit le reste. Jeter cette tranche d'âge, c'est jeter l'enfant dans une fosse. Et on se rend compte aussi que c'est la partie la plus abandonnée.''
Jamil Charnià franceinfo
L'association ne se contente pas d'occuper les enfants pendant les vacances : en période scolaire, des groupes de soutien sont organisés pour une quarantaine d'élèves. Chaque enfant vient deux fois par semaine, accompagné par un tuteur.
Il s’agit surtout de parler d’avenir : préparer l'enfant pour qu'il puisse se projet est essentiel, surtout avec des ados qui basculent de plus en plus jeunes, selon Jamil Charni. Mais il le reconnaît : il est difficile d'aider tous les enfants de la Castellane alors qu'ils n'ont qu'une salarié à mi-temps, quatre services civiques et très peu de moyens dans cette cité le chômage touche 70% de la population. Pour se rendre dans le centre-ville, il faut faire une heure de transports en commun et la quasi-totalité des services publics ont disparu. "On se sent abandonnés", confie Jamil Charni.
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