Vendée Globe : la construction des navires de course face au défi de l’empreinte carbone

Émissions de CO2, pression sur la biodiversité... L'impact écologique de cette course à voile de haut niveau n'est pas minime. L'un des enjeux du Vendée Globe pour réduire cet impact est lié à la construction très polluante des monocoques de compétition.
Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
J-4 avant le départ du Vendée Globe aux Sables d'Olonne, le 6 novembre 2024. (HASLIN / MAXPPP)

Aux Sables d’Olonne dimanche 10 novembre, 40 marins prendront le large sur des bateaux à voile monocoques de 18m de long, des Imoca. Mais même si ces bateaux fonctionnent à la voile, ils traînent dans leur sillage quelques tonnes de CO2. Lors de la fabrication de ces bâtiments de compétition, pas moins de 600 tonnes d'équivalent CO2 sont envoyées dans l'atmosphère. À titre de comparaison, chaque Français en émet huit tonnes par an en moyenne. Et cette empreinte carbone de la construction de ces machines de compétition n’a cessé d’augmenter ces dernières années.

Alors certains tentent d’améliorer les choses. Près de Nantes, dans les grands hangars gris du chantier Duqueine, où on fabrique des bouts d’avions, un bateau prend forme, grâce à l’idée d’un skipper. Armel Tripon fait construire son futur voilier de course avec des rouleaux de fibres de carbone "périmés" : déjà fabriqués pour l’aéronautique, ils sont, au bout d’un certain temps, mis au rebut, l'industrie estimant qu’ils ne sont plus assez performants pour l'aéronautique. 

Créer de nouvelles filières de recyclage

"Une opportunité" pour le skipper car ici, le gisement ce carbone existant est énorme : 100 tonnes disponibles. Armel Tripon en a "récupéré" gratuitement trois tonnes pour réaliser 70% de son bateau : "Ce matériau qui part à la poubelle, a pour autant encore toutes ses caractéristiques mécaniques, toutes ses propriétés, assure le marin, donc on peut le réemployer pour d'autres opérations." Bilan : les émissions de CO2 ont été divisées par deux.

Et le skipper compte encore améliorer les choses avec un autre projet en cours : faire fabriquer des pièces d’accastillage, c’est-à-dire des éléments comme les poulies qui permettent de manœuvrer le bateau, à partir de titane recyclé. Ce titane est récupéré notamment dans les hôpitaux qui utilisent ce métal, par exemple, dans les prothèses orthopédiques. "Aujourd'hui, le titane médical n'est pas bien revalorisé, explique Armel Tripon, et on a commencé à mettre en place cette collecte dans tous les blocs opératoires."

"Maintenant chaque bloc opératoire met de côté ce titane au lieu de mettre à la poubelle."

Armel Tripon, skipper

à franceinfo

Parallèlement il va aussi rendre visite à des fabricants qui ont des pièces à jeter et, aujourd’hui, l’équipe d’Armel Tripon a déjà stocké deux tonnes de ce titane hors d’usage, en attendant la mise en place d’une filière industrielle pour le recycler.

Relancer des agricultures anciennes

Un autre élément sur lequel d'autres équipes travaillent : les voiles. À Carnac, All Purpose est l’un des fabricants de voile qui équipent des bateaux du Vendée Globe. Ce jour-là, dans le vaste atelier de fabrication, de grands morceaux de tissus bleus sont en cours d’assemblage, sous les yeux de Mathieu Souben, l’un des patrons. "On est en train de concevoir la grand-voile, ce qui chez nous représente 200 heures de travail, explique-t-il, et cette grand-voile-là a 50% de fibre de lin". Ce lin récolté en Normandie remplace en partie les fibres synthétiques et permet aussi d’améliorer l’empreinte carbone. D’autant plus que la filière est quasi locale.

Désormais d’autres fibres naturelles sont à l'étude, comme le chanvre ou l’ortie, sur laquelle travaille Christophe Baley, à l’institut de recherche Dupuy de Lôme, à Lorient. "L'ortie, ce sont des fibres qui ont été utilisées dans l'histoire pour faire des cordes d'arc, par exemple, au Moyen-Åge, raconte-t-il. Mais la culture industrielle d'ortie s'est arrêtée à la fin de la Première Guerre mondiale, alors qu'il y en avait 19 000 hectares de mémoire cultivées en Europe. Et on est dans une phase où les gens tentent de ramener la culture d'ortie, une reconstitution d'agriculture".

Préserver la faune marine

Pour atteindre les objectifs de décarbonation de la filière nautique de haut niveau, l’architecte naval Gildas Plessis s’est aussi inspiré du passé. Il a développé un projet de voilier de course en bois. "Ce n'est pas l'Hermione, hein ! On n'est pas en train d'assembler des lattes de bois massif extrêmement lourdes : ce sont des épaisseurs très fines qui sont renforcées de fibres, avec des renforts intérieurs très nombreux, un peu comme une carlingue d'avion, décrit-il. Et on arrive à baisser le taux de CO2 de la coque pontée de 90%. Quand vous le ramenez au bateau complet, qui doit contenir du carbone, parce que les efforts sont tellement énormes qu'on ne sait pas faire sans, vous êtes sur un bateau finalisé entre 35 et 40%, ce qui est énorme. On est au-delà des projections à 2030".

"Grâce au bois,on serait sur des réponses décarbonées qui correspondent plutôt à 2040 !"

Gildas Plessis, architecte naval

à franceinfo

Et ce projet intéresse déjà plusieurs navigateurs, avec en vue le prochain Vendée Globe, qui partira en 2028.

Une fois en mer, ces marins et ces bateaux ne polluent quasiment plus en termes d'émission de gaz à effet de serre. En revanche, le point noir reste le risque pour la biodiversité. Ces bateaux sont très rapides et ceux qui sont dotés de foils, ces sortes d'ailes latérales qui les font décoller, sont très dangereux pour les animaux marins, notamment les cétacés. Pour cette édition du Vendée Globe, la direction de course a même travaillé avec des scientifiques pour mettre en place deux zones géographiques d'exclusion, où les bateaux ont interdiction d'aller. Ces endroits sont en effet reconnus pour être cruciaux pour l’alimentation et la reproduction des animaux marins, et ceux-ci s'y regroupent donc en nombre.

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