Enseignants : les bons salaires en Suède ou en Corée du Sud n'empêchent pas des situations de maltraitance

Alors qu'en Suède, le nombre de plaintes des professeurs pour menaces et violences a doublé en 10 ans, en Corée du Sud, les professeurs se plaignent de subir un harcèlement de la part des parents comme des élèves. Nos deux correspondants décrivent la situation sur place.
Article rédigé par franceinfo - Nicolas Rocca, Carlotta Morteo
Radio France
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Temps de lecture : 5 min
En Suède, 16% des professeurs déclarent qu’ils envisagent de quitter la profession à cause des menaces et des violences à l’école. (photo d'illustration) (VANLATHEM AUDE / MAXPPP)

Les enseignants de Suède et de Corée du Sud ont des salaires plus élevés qu'en France. Notamment en Corée du Sud, où ces salaires progressent beaucoup plus avec l'expérience, jusqu'à presque trois fois le salaire de début de carrière. Pourtant ces pays ne parviennent pas à protéger cette profession du mal-être. Les enseignants dans ces deux États sont de plus en plus confrontés à la violence physique ou psychique.

En Suède, une enquête du syndicat des enseignants signale que depuis 2021, un enseignant sur trois au lycée est menacé de violence chaque année. Ce chiffre serait sous-estimé, tant les professeurs se sont habitués aux menaces et ne signalent pas toujours les incidents. De la primaire au secondaire, 60% des professeurs ont été victimes de violences verbales, 15% de violences physiques, 11% de cyberviolences et 7% de comportements à caractère sexuel, selon ce rapport.

Les histoires de ces incidents récurrents émaillent la presse suédoise. On peut lire des titres tels que : "Un élève frappe son professeur et lui casse le nez" ; "Un prof se fait cracher dessus au visage" ; "Un CM2 lance un pot de fleurs dans la tête de l’enseignant". Les conditions de travail sont si dégradées que 16% des professeurs déclarent qu’ils envisagent de quitter la profession à cause des menaces et des violences à l’école. Fait particulièrement troublant, les élèves à l'origine de ces problèmes d’agressivité sont de plus en plus jeunes, parfois en primaire.

Un professeur suédois licencié après avoir défendu un élève

Un de ces incidents s’est transformé en véritable affaire et a été médiatisé au niveau national. Un professeur suédois qui est intervenu auprès d'un élève s'en prenant violemment à un autre a été licencié pour son geste. Cela s'est passé en mai 2023, dans un collège public d’une petite ville du sud de la Suède. Pendant la récréation, un élève de 16 ans tourmente un de ses camarades, plus jeune que lui et légèrement handicapé. Un professeur de langues intervient, le jeune harceleur ricane, puis menace de le "rosser", avant de pousser l’enseignant au niveau de la poitrine. En réponse à la bousculade de l’élève et à ses menaces, l'enseignant l’a immobilisé contre une armoire en mettant son bras en travers du haut de son torse.

La Cour, qui a jugé l’affaire, a estimé que l’enseignant avait fait acte de légitime défense et qu’il avait agi dans l’urgence. Mais le professeur en question a été licencié pour avoir réagi de manière disproportionnée, selon la direction du collège. Cette affaire, jugée fin novembre 2023, a pourtant vu l'élève condamné à 10 000 couronnes, soit 890 euros, de dommages et intérêts, pour "menace contre un fonctionnaire". Ce délit qui ne concernait que les atteintes sur la police, le personnel hospitalier ou administratif, protège désormais, depuis août 2023, le corps enseignant. Après la plainte de l'établissement contre l'enseignant (classée sans suite), suivie de son renvoi, le syndicat des enseignants attaque donc le collège aux prud'hommes pour licenciement injustifié.

Cette histoire a relancé toute une discussion : que faire pour prévenir et punir ces comportements de plus en plus hostiles ? Comment restaurer une forme d’autorité des enseignants ? En Suède, les élèves tutoient les professeurs, mais certains estiment que l’accent mis sur l’autonomie et le bien-être des élèves a induit à un manque de cadres et de repères pour les enfants.

Selon les syndicats, le fond du problème vient des coupes budgétaires et notamment du fait que les postes d’assistants scolaires ont été supprimés. Ceux-ci permettaient en effet de soutenir les professeurs et mieux accompagner les élèves problématiques.

En Corée, des manifestations après le suicide d'une jeune enseignante

En Corée du Sud, le mal-être des enseignants fait les gros titres depuis plusieurs mois. L’été dernier deux événements particulièrement choquants ont marqué le pays. D’abord l’agression violente d’une professeure par un de ses élèves qui l’a frappée plusieurs fois au visage, puis le suicide d’une jeune enseignante de 23 ans, victime, selon sa famille et les syndicats, du harcèlement de parents d’élèves.

Après cette dernière tragédie, les professeurs sont descendus dans la rue pour dénoncer leur incapacité à travailler dans des conditions acceptables. Une manifestante témoigne : "Quand on explique aux enfants qu'il faut s'appliquer pour écrire, rester calme, s'asseoir sur les sièges, toutes ces choses qui sont considérées comme des pratiques éducatives normales, on peut être accusés de 'maltraiter émotionnellement les enfants'." Cette menace pèse au quotidien, continue-t-elle : "Nous pouvons être dénoncés par les parents et l'école ne va pas nous protéger car nous deviendrons des profs maltraitants..." Ce témoignage est loin d’être isolé. Ces enseignants rencontrés lors des manifestations avaient si peur d’être punis par leur établissement, ou de subir les foudres des parents d’élèves, qu’ils refusaient de donner leur nom.

La Corée du Sud est connue pour son système scolaire extrêmement exigeant, avec des élèves qui travaillent durant de longues heures, entre 12 et 16h par jour, pour obtenir de bons résultats. Comment est-ce que le rapport de force a pu s’inverser à ce point ?

Historiquement, la figure du professeur était très respectée et les règles envers les élèves très strictes. Ces derniers ont même longtemps subi des châtiments corporels de la part de leurs enseignants. Mais depuis une vingtaine d’années, plusieurs réformes ont été mises en place pour protéger les enfants. Celles-ci sont allées trop loin, d’après les enseignants. Ils sont désormais tétanisés par la possibilité de faire l’objet d’une plainte de parents d’élèves pour "contrainte émotionnelle" et d’être immédiatement mis à pied.

Pour faire face à la compétition scolaire et aux enjeux éducatifs absolument centraux, les parents investissent en moyenne 300 euros pour des cours supplémentaires. Ces sacrifices financiers ou personnels ont créé un environnement de stress pour les parents et les élèves et cela semble s’être traduit par la maltraitance des enseignants. Face à la grogne des professeurs, le gouvernement a fini par réagir et a pris une série de mesures afin de les protéger. Mais aucune réforme globale du système scolaire visant à alléger la pression générale ne semble être dans les tuyaux.

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