Guerre en Ukraine : les conséquences économiques sur le blé en Turquie et en Égypte
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction l'Égypte et la Turquie, tous deux importateurs de blé russe et ukrainien.
L’Ukraine et la Russie fournissent à elles deux un quart des exportations mondiales de blé. Avec la guerre en Ukraine, de nombreux pays dont la Turquie et l'Égypte risquent de subir de plein fouet l'envolée du prix de la céréale. La majorité de leurs importations de blés proviennent de Russie et d'Ukraine.
>> Guerre en Ukraine : suivez l'évolution de la situation en direct
La Turquie dépendante du blé ukrainien et russe
Tout en dénonçant fermement l’attaque contre l’Ukraine, la Turquie refuse de se joindre aux sanctions occidentales pour préserver ses relations avec la Russie et notamment ses intérêts économiques. Mais le conflit aura des effets sur l’économie turque déjà bien mal en point. Le pays s’inquiète notamment pour ses besoins en blé.
Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, en 2020-2021, 78 % des importations de blé turques provenaient de Russie, et 9 % d’Ukraine. Il s'agit de ses plus gros fournisseurs. D'après Murat Kapikiran, président de la Chambre des ingénieurs agricoles d’Istanbul, la Turquie s’est enfermée ces dernières années dans une dépendance vis-à-vis de ces deux pays. "Il y a encore quatre ans, la Turquie produisait 107% de ses besoins en blé", rappelle-t-il. "Mais ces dernières années, nos importations ont connu une hausse énorme, pour atteindre presque 10 millions de tonnes en 2020. C’est le résultat de politiques agricoles erratiques qui ont fait plonger la production : manque de soutien aux agriculteurs, imposition de prix plafond, réaffectation des terres agricoles pour l’immobilier, l’industrie etc."
"Notre production actuelle couvre à peine 80% de nos besoins ! Nous sommes devenus dépendants de la Russie et de l’Ukraine. Et maintenant, la crise va s’aggraver."
Murat Kapirikan, président de la Chambre des ingénieurs agricoles d'Istanbul
La guerre risque de coûter cher aux consommateurs turcs, qui doivent s’attendre à une hausse du prix de leur pain, de leur farine ou de leurs pâtes. D'autant plus que les importations de la Turquie vont encore augmenter puisque l’année dernière, en raison de fortes sécheresses, la production locale de blé a chuté de 14%. Le gouvernement assure qu’il n’y aura pas de pénurie, mais les professionnels affirment que la hausse des prix est inévitable. Or la Turquie subit déjà une inflation record : les prix à la consommation ont bondi de 49% sur un an en janvier, du jamais vu depuis 20 ans.
Le président Erdogan, dont la cote de popularité plonge à mesure que les prix grimpent, a promis le retour d’un taux d’inflation à un chiffre en 2023, année des élections législatives et présidentielle. Mais avec la hausse des prix de l’énergie et d’autres produits agricoles – orge, tournesol etc. – que la guerre en Ukraine va entraîner, le pari semble plus compliqué que jamais.
L'Égypte, plus gros importateur mondial de blé
L’Égypte est le pays le plus peuplé du monde arabe, avec plus de 100 millions d’habitants. C’est aussi le premier acheteur mondial de blé, très dépendant de ses importations de l’Ukraine et de la Russie. Dès la semaine dernière, le premier ministre égyptien a réuni son gouvernement pour discuter des répercussions économiques de la guerre en Ukraine. Et plus particulièrement de cette question du blé.
L’Égypte consomme environ 18 millions de tonnes de blé par an, dont 13 sont importés. 80% de ces 13 millions de tonnes de blé proviennent de l’Ukraine et de la Russie. (30% pour l’Ukraine, 50% pour la Russie.) C’est dire la dépendance de l’Égypte vis-à-vis de ces deux pays. Et les risques qui pèsent donc sur l’approvisionnement.
Samedi, un tout dernier cargo égyptien a pu quitter le port ukrainien de Youjne sur la mer Noire, à proximité de la ville d’Odessa. À son bord, 60 000 tonnes de blé. C’est seulement un cinquième d’une commande qui aurait dû être livrée avant le 3 mars. Le Premier ministre égyptien cherche toutefois à rassurer. Selon le gouvernement, les stocks actuels permettent de tenir quatre mois. Si l’on y ajoute la récolte locale qui débutera au printemps : en tout, l’Égypte a du blé pour neuf mois. C’est-à-dire plus ou moins jusqu’à la fin de l’année.
Les autorités égyptiennes écartent la menace directe d’une pénurie
Mais la flambée des prix du blé sur les marchés sera-t-elle ressentie par les citoyens égyptiens ? C’est toute la difficulté à laquelle est confrontée le gouvernement égyptien. Comment minimiser l’impact sur la population de ces prix qui atteignent des sommets ?
En janvier déjà, le prix d’une commande de blé russe qui doit arriver à la mi-mars dépassait de plus du double le prix prévu dans le budget de l’État. Depuis le déclenchement de l’invasion russe, l’Égypte cherche à diversifier ses fournisseurs. Mais les prix sont encore plus élevés qu’ils ne l’étaient en janvier. C’est d’ailleurs pour cela que l’Égypte a encore rejeté une offre de blé français cette semaine. Trop cher.
Cette flambée des prix du blé impacte ceux de la farine et donc du pain. Deux aliments de base que les autorités égyptiennes maintiennent à un prix bas par un système de subvention. Près de 70% des Égyptiens en bénéficient. Mais le gouvernement avait prévenu dès la mi-février : le prix du pain subventionné augmentera. Cela pourrait se faire par une réévaluation des paliers d’attribution de manière à protéger les plus pauvres. Car toucher au pain, c’est risquer la grogne, voire plus. Les autorités le savent. Dans un pays où au moins 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.