La lutte contre les ingérences russes et chinoises, en Allemagne et au Canada

En Allemagne, la Russie est soupçonnée de discréditer le gouvernement et son soutien à l’Ukraine. Alors qu'au Canada la Chine est soupçonnée d'avoir favorisé la réélection de Justin Trudeau. Nos correspondants nous expliquent ces suspicions.
Article rédigé par Sébastien Baer, Pascale Guéricolas
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La Chine et la Russie sont soupçonnées d'ingérence par le Canada et l'Allemagne. Photo d'illustration. (MANUEL AUGUSTO MORENO / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

En Allemagne, des spécialistes du ministère des Affaires étrangères ont mis au jour une campagne russe de désinformation sur la plateforme X d’Elon Musk. C’est l’hebdomadaire Der Spiegel qui révèle l’affaire, vendredi 26 janvier. Ces dizaines de milliers de tweets étaient destinés notamment à discréditer le gouvernement allemand et son soutien à l’Ukraine. Des faisceaux d'indices convergent vers Moscou.

Tandis qu'au Canada, une commission d’enquête publique a commencé, lundi 29 janvier, ses travaux pour comprendre si des pays comme la Chine, la Russie et l’Inde ont bel et bien tenté d’influencer les élections de 2019 et 2021. Des ministres, des députés et des représentants de services de renseignement devront notamment répondre aux questions d’une juge pour comprendre le phénomène et recommander au gouvernement des mesures à prendre pour lutter contre l’ingérence étrangère.

Allemagne : Des faux comptes X avec des messages qui paraissent authentiques

À l’aide d’un logiciel spécial, les experts du gouvernement allemand ont scruté les messages postés sur X pendant un mois, entre le 20 décembre et le 20 janvier. Ils ont repéré 50 000 faux comptes d’utilisateurs auteurs, au total, de plus d’un million de tweets, avec un record de 200 000 en une seule journée ce qui représente 140 tweets par minute.

Pour que les messages paraissent authentiques, ils étaient souvent envoyés à partir de profils qui reproduisent les comptes de personnalités ou de médias réputés. Des messages rédigés avec des liens qui mènent à des pages internet qui ressemblent à s’y méprendre aux vrais sites mais qui ne sont que des copies. Pour augmenter la diffusion, les pirates ajoutaient dans les tweets les hashtags populaires du moment, même s’ils n’avaient rien à voir avec le sujet, comme la Fête de la bière à Munich ou des matchs du championnat allemand de football.

Une fausse page du ministère de l’Intérieur indique, par exemple, qu’il est important de répartir équitablement les réfugiés ukrainiens dans les foyers allemands. Dans un tweet, le quotidien Süddeutsche Zeitung annonce que la guerre est clairement perdue pour l’Ukraine. La teneur des messages est souvent la même, il s'agit de reproches adressés au gouvernement allemand, accusé de négliger sa population et de trop soutenir l’Ukraine. Voici quelques-uns de ces messages : "je trouve décevant que le gouvernement fasse plus pour les autres pays que pour ses propres citoyens", "c’est une honte que la coalition ne s’attaque pas en premier lieu aux problèmes de son pays". Une propagande ni trop outrancière, ni trop vindicative, pour ne pas éveiller les soupçons, mais efficace pour discréditer l’action du gouvernement allemand.

Aucun tweet pendant les jours fériés russes

Malgré tout, les experts sont parvenus à remonter la filière de ces pirates informatiques qui ont commis quelques erreurs. Comme, par exemple, une inscription en cyrillique oubliée dans un tweet prétendument écrit par Annalena Baerbock, la ministre des Affaires étrangères. Ou encore, plusieurs comptes avec la même photo de profil.

Les experts ont aussi remarqué qu’aucun tweet n’était envoyé pendant les week-ends et aux dates qui correspondent à des jours fériés en Russie. Les soupçons se portent fortement sur Moscou, accusé d’orchestrer cette propagande. À quelques mois des élections européennes et de trois scrutins régionaux, cette attaque numérique inquiète les autorités. Elles redoutent que le scénario se répète, d’autant que la campagne semble fonctionner de manière automatisée, alimentée par l’intelligence artificielle, ce qui la rend encore plus redoutable.

Canada : des attaques contre les conservateurs dans des journaux pro-Pékin

Les diasporas constituent un groupe très important d’électeurs dans certaines régions du Canada. 1,8 million de citoyens canadiens viennent, par exemple, de Chine. Ce pays, en particulier, aurait mené plusieurs actions importantes pour tenter d’influencer le vote dans 11 circonscriptions. Le but étant de favoriser l’élection du Parti Libéral de Justin Trudeau, a priori plus favorable à l’Empire du Milieu que les conservateurs.

Pour influencer les électeurs, il y a d’abord des attaques classiques contre les conservateurs dans des journaux pro-Pékin destinés aux immigrés chinois. Les étudiants venus de Chine ont aussi été mis à contribution. Des entreprises les ont embauchés pour aller travailler bénévolement pour certains candidats, en les menaçant au passage de leur retirer leur visa s’ils ne s’exécutaient pas. Autre moyen d’action, une campagne de désinformation menée sur les réseaux sociaux comme We Chat, très populaire auprès des Chinois d’origine. Des sites ont relayé des mensonges sur certains candidats conservateurs, simplement pour salir leur image auprès des électeurs.

Un élu conservateur militant pour les Ouïghours pris pour cible

Un député d’origine chinoise a vu son soutien dans la diaspora s’effriter et a perdu son poste. Mais le cas le plus grave concerne l'élu conservateur, Michael Chong. Les services secrets canadiens ont découvert un complot le concernant. Cela faisait suite à son implication pour que le Canada reconnaisse que les Ouïghours, une minorité musulmane, sont victimes de génocide en Chine. Apparemment Pékin l’a pris pour cible, en tentant de recueillir de l’information sur sa famille élargie à Hong Kong. Lorsque l’affaire a été rendue publique, le gouvernement canadien a expulsé le diplomate responsable.

La commission d'enquête qui s’amorce devrait déterminer plusieurs mesures pour permettre au gouvernement canadien de lutter contre l’influence étrangère. Il est question, par exemple, d’obliger les agents étrangers soupçonnés de vouloir s’impliquer dans les élections à s’inscrire officiellement dans un fichier. L’Australie l’a fait il y a quelques années. Plusieurs demandent aussi aux services secrets de se montrer plus transparents et de prévenir le public quand ils sont au courant de manœuvres étrangères envers certains candidats.

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