Cet article date de plus de deux ans.

Amélie Nothomb : "Les mots m'ont sauvée autant qu'ils m'ont détruite"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’auteure belge Amélie Nothomb. Elle vient de publier son 31e roman, "Le livre des sœurs", aux éditions Albin Michel.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'écrivaine Amélie Nothomb lors de la remise du prix Renaudot, à Paris le 3 novembre 2021 (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Amélie Nothomb est une auteure prolifique : elle publie un ouvrage par an. Elle cumule les prix depuis son premier roman Hygiène de l'assassin en 1992 (Prix René Fallet), ou encore pour son précédent livre : Premier sang (2021) pour lequel elle a été lauréate du prix Renaudot. En 1999, elle remportait pour son huitième livre, Stupeur et tremblements, le Grand Prix du roman de l'Académie française.

Son 31e roman, paru aux éditions Albin Michel, s'intitule Le livre des sœurs.

franceinfo : Ce livre est bouleversant parce qu'on parle de sororité, mais on parle surtout de comment on peut se construire en tant qu'enfant, l'amour qu'on peut recevoir de ses parents ou pas et comment finalement se sortir de ça et grandir.

Amélie Nothomb : Oui, il est question ici d'une petite fille née presque par accident. Ses parents l'ont mise au monde sans très bien savoir pourquoi. Ce sont de très braves gens, mais ils ne se rendent pas compte qu'ils doivent s'attacher à cette enfant, qu'ils doivent la regarder. Et du coup, elle grandit toute seule jusqu'au jour où ses parents mettent au monde une petite sœur. La petite fille va investir dans le bébé toute l'affection qu'elle n'a pas reçue de ses parents. On va voir croître en parallèle ces deux histoires d'amour. L'histoire d'amour entre les parents qui forment ce qu'on appelle un couple forteresse et l'histoire d'amour entre les deux petites filles qui vont devenir des sœurs absolument fusionnelles. Ça m'est arrivé avec ma sœur qui m'a toujours aimée, qui m'a donné l'impression de m'attendre depuis toujours.

"Je n'ai aucune idée de la personne que je serais si je n'avais pas été accueillie par l'amour de ma sœur et que je n'avais pas grandi sous ses yeux si bienveillants."

Amélie Nothomb

à franceinfo

On a le sentiment que c'est un hommage que vous souhaitiez rendre à votre sœur.

Oui. Un hommage à ma grande sœur. Je sais que toutes les sœurs au monde, malheureusement, ne sont pas exactement comme ma sœur. Et le plus grand des privilèges que j'ai eu de toute ma vie, c'est d'être la petite sœur de Juliette Nothomb.

Quand on tourne l'ouvrage, on lit : "Les mots ont le pouvoir qu'on leur donne". Les mots vous ont sauvée ?

Oui. Les mots m'ont sauvée autant qu'ils m'ont détruite. Je pense que c'est une expérience très commune. On peut être détruite, particulièrement à l'adolescence, par un mot maladroit, pas forcément malveillant mais maladroit. Et c'est un travail de titan d'apprendre à comprendre que, finalement, ce mot n'a peut-être que le pouvoir qu'on lui donne et qu'il faut peut-être apprendre à retourner ce mot ou à y voir autre chose que l'absence d'intention, d'ailleurs, que souvent il contenait.

Cet ouvrage a une résonance particulière dans toute cette écriture. Entre temps, malheureusement, vous avez perdu votre père. Est-ce que ça a redistribué certaines cartes ? Est-ce que ça vous a obligé finalement à grandir encore davantage ?

Ça m'a donné l'impression que je devais aussi porter mon père à l'intérieur de moi. Il y a eu ce livre, Premier sang, que j'ai publié l'an passé et qui a été très important. C'est le livre par lequel je rends la vie à mon père. J'ai l'impression que depuis la publication de ce livre, je suis encore plus mon père qu'avant. Il vit en moi, mais continuellement, et j'ai même l'impression de lui ressembler plus qu'avant, ce qui est assez troublant.

Quand vous avez publié votre premier roman, on est en 1992. Le roman n'a pas vraiment été systématiquement bien compris au départ. Ça vous a fait sourire ou ça vous a inquiétée ?

À l'époque, ça m'a terrifiée. La première réaction des gens a été de dire : "Mais ça ne peut pas être l'œuvre d'une jeune femme". En plus, j'avais vraiment l'air d'un gros bébé quand on me voyait, donc les gens éclataient de rire en disant : "Amenez-nous le véritable auteur de ce livre, s'il vous plaît, ce n'est évidemment pas ce gros bébé !" Au début, j'ai vu que c'était un compliment, mais avec le temps, j'ai commencé à me demander si j'étais si peu crédible que cela dans le rôle de l'auteure de ce livre. La raison pour laquelle, finalement, on a bien voulu croire que j'étais l'auteure, ce n'est pas du tout parce que j'ai réussi à le prouver, c'est simplement parce que personne d'autre ne s'est manifesté. Donc, comme il fallait bien que ce livre ait été écrit par quelqu'un, finalement, on a daigné m'en reconnaître la paternité.

Quand vous publiez un ouvrage, il est systématiquement traduit dans plusieurs langues : pour les plus grosses traductions, on parle de 40 langues, c'est assez exceptionnel. Il raconte qui vous êtes, ce qui vous touche, mais vous vous protégez toujours. Ça veut dire que c'est important d'utiliser la subjectivité, de garder un peu cette armure ?

Je donne tellement à travers mes livres. Je vais si loin dans la confidence que quand je n'écris pas, je suis quand même consciente qu'il faut que je me ménage un tout petit peu. Au début, je ne le faisais pas du tout.

"Il y a 30 ans, quand j'ai publié mon premier livre, je donnais mon adresse privée et mon numéro de téléphone à tout le monde. Mais j'ai vécu des expériences sans nom. Je retrouvais des hommes nus sur mon paillasson. Avec le temps, j'ai commencé à comprendre qu'il fallait quand même fixer certaines frontières."

Amélie Nothomb

à franceinfo

On a l'impression que vous toujours besoin de garder ce recul pour justement vous préserver, vous protéger. Dans cet ouvrage, vous vous livrez comme jamais. Que représente ce livre des sœurs ?

Une très profonde déclaration d'amour à ma sœur, donc, c'est quelque chose de très important.

Mais à vous-même aussi, à la famille, aux liens du sang !

Oui, parce que c'est vrai que toutes les familles sont problématiques. Je trouve que je suis plutôt bien tombée. Mais ma famille, avec toutes les qualités et tous les défauts qu'elle a, c'est fondateur de mon identité. La famille, c'est la donnée tragique de l'existence. Les rôles sont distribués et de toute façon, on devra d'une manière ou d'une autre résoudre cette tragédie grecque. On n'y échappe pas, autant la résoudre le mieux possible.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.