Amélie Nothomb : "Mon père n'est plus vivant, donc je vais au Japon en étant mon propre capitaine"
Quand on regarde le parcours de la romancière Amélie Nothomb, ses succès, son tableau de récompenses avec notamment le Grand prix du roman de l'Académie française pour Stupeur et tremblements ou le prix Renaudot 2021 pour Premier sang et le nombre de livres vendus, une seule expression nous vient : Chapeau bas ! Force est de constater que ça colle parfaitement avec sa personnalité voire son code vestimentaire. Sur la couverture de son nouveau roman sorti il y a quelques jours chez Albin Michel, elle a, pour une fois, posé son chapeau et s'est armée d'une moue souriante. Le titre de son nouvel ouvrage publié aux éditions Albin Michel interpelle au début : L'impossible retour et après l'avoir lu, on se rend compte qu'il est tout sauf négatif.
franceinfo : C'est ouvrage, L'impossible retour, est extrêmement personnel, intime. Il nous en dit long sur la femme que vous êtes devenue. On a l'impression que ce roman vous a permis de savoir davantage qui vous étiez.
Amélie Nothomb : C'est le récit de mon tout dernier voyage au Japon. J'ai eu l'occasion d'aller passer dix jours au Japon avec une grande amie. Ma vie a été rythmée de voyages au Japon et ces voyages ont toujours eu une importance capitale.
"J'ai fini par comprendre que je ne serais pas capable de faire ma vie au Japon, mais ce n'est pas pour ça que ce n'est pas mon pays préféré au monde."
Amélie Nothombà franceinfo
Je suis folle du Japon, je suis amoureuse de ce pays, j'ai besoin d'y retourner régulièrement et en même temps, j'aime tellement ce pays que c'est impossible pour moi d'y retourner. Pourquoi ? Parce que je sais que ce ne sera pas pour toujours. Parce que je sais qu'il va falloir en repartir. Voilà, c'est comme le récit d'une histoire d'amour impossible et cependant pas malheureuse du tout.
Vous avez vécu effectivement au Japon et appris la langue. Vous avez oublié à un moment donné que vous aviez appris la langue. C'est ce que vous nous révélez.
J'ai une relation très spéciale avec la langue japonaise parce que j'ai eu deux langues maternelles : le français et le japonais. Puis, ayant quitté le Japon à l'âge de cinq ans, j'ai totalement oublié cette langue. Du moins j'ai cru avoir oublié le japonais parce que quand j'y suis retourné à l'âge de 21 ans, c'est fou ce que la langue est vite revenue. Mais maintenant, je sais que ce n'est jamais un oubli définitif. C'est un petit peu comme une marée. Quand je retourne au Japon, la marée est basse, de jour en jour, je sens la langue qui me revient et quand je repars, je suis de nouveau à marée haute.
On sent en tout cas aujourd'hui que vous endossez davantage le rôle de capitaine de ce bateau pour voguer finalement vers votre vie, celle que vous décidez. J'ai l'impression que ce n'est pas un hasard si le regard est tourné vers l'avenir.
C'est aussi la première fois que je retourne au Japon depuis que mon père est mort. Auparavant, à chaque fois que j'allais au Japon, même si mon père n'y vivait plus, je me sentais assujettie à mon père qui était ce formidable connaisseur du Japon, ce chanteur de l'opéra médiéval japonais qui est le Nô. Mon père n'est plus vivant, donc je vais au Japon en étant mon propre capitaine.
On sent que cette responsabilité, tout au long de l'ouvrage, est très lourde pour vous.
C'est une responsabilité très lourde parce que je n'ai jamais guidé quelqu'un au Japon et pourtant, finalement, j'y arrive parfaitement. Vu de l'extérieur, c'est un voyage qui se passe comme sur des roulettes. Ce qui est extraordinaire dans ce voyage, ce sont mes sentiments. C'est ce que j'éprouve en étant confrontée une énième fois à ce pays qui est si significatif pour moi.
Là, vous affrontez de façon très directe le départ de votre père puisqu'on reste dans le thème du départ. J'ai l'impression que c'est son départ, le plus lourd, qui vous permet d'adoucir les autres.
Ma foi, oui. Retourner au Japon sans mon père qui a été un des principaux agents pour me faire apprendre le japonais… Mon père parlait couramment le japonais et j'avais constaté que quand lui avait prononcé devant moi un mot ou une phrase en japonais, elle était inscrite en moi pour toujours. Donc c'est cette fois-ci que j'ai vraiment pu voir ce qu'il restait d'un héritage aussi important.
Cette avancée, on la ressent. La ressentez-vous aussi ? Vous n'êtes plus la même personne, vous êtes beaucoup plus forte aujourd'hui que vous ne l'avez jamais été.
"Je ne sais pas quelles sont les étapes qui m'attendent et elles me font quand même un petit peu peur."
Amélie Nothombà franceinfo
Je le ressens et c'est à double tranchant, parce que de savoir ce qu'il a fallu faire pour trouver cette force-là, ça crée un sentiment de fierté, mais quelque part, ça rend fragile. On se dit : "Bon, il a quand même fallu tout ça", or l'histoire n'est pas finie, je vais continuer à vivre, à perdre des gens puisque la vie est ainsi faite car vivre c'est perdre des gens très chers.
Ce que souligne cet ouvrage, c'est l'importance de la contemplation aussi, de bien observer ce qui se passe. Ce qui est important c'est de trouver l'harmonie qui est en soi. Est-elle loin cette harmonie ou commencez-vous enfin à y accéder ?
Alors je pense que j'ai accès à cette harmonie au moins une fois par jour. J'aimerais que ça dure plus que cinq minutes par jour, mais déjà cinq minutes par jour, ce n'est pas si mal.
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