Avec les "Soupes d'hiver" de Guy Savoy, "on passe de la punition à la récréation"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le chef cuisinier, Guy Savoy. Il publie aux éditions Herscher "Soupes d'hiver".
Guy Savoy est un chef cuisinier et il a été très tôt habité par son métier, sa passion. Depuis presque 20 ans, son restaurant Guy Savoy, basé dans le 6e arrondissement de Paris, possède trois étoiles au Guide Michelin. Il publie Soupes d'hiver aux Editions Herscher, soit 25 recettes de soupes hivernales.
franceinfo : C'est vrai que faire une soupe est possible pour tout le monde et on se rend compte à quel point elle fait partie de nous, de notre histoire.
Guy Savoy : Ça fait partie de notre histoire, mais ça démarre mal parce qu'on se souvient tous de l'injonction "Mange ta soupe !" et c'est vrai que la soupe, c'était plutôt la punition. Et on s'aperçoit qu'au fil des années, grâce au talent des cuisinières et des cuisiniers, que c'est un territoire immense et qu'on peut, avec la soupe, se faire plaisir. On passe de la punition à la récréation. Tout est possible. Il ne faut que quelques ingrédients, quelle que soit la saison. On a fait quatre volumes différents, on a commencé par le printemps, puis l'été, l'automne et pour finir l'hiver.
La soupe est-elle un point de départ ou non dans la cuisine ? Est-ce vos premiers souvenirs d'enfant, la soupe ?
Je ne veux pas limiter mes premiers souvenirs à la soupe. Bien sûr, la soupe, mais je me souviens des tartes de ma mère, de ses gratins, de cette odeur incroyable dans la cuisine. Je me souviens de ce jeudi après-midi d'hiver où elle m'a fait participer à la fabrication de langues de chat. Ça a fait rêver le gamin que j'étais parce que j'étais surpris de la voir mélanger du sel, du sucre, de la farine, du beurre, des œufs, des produits qui, tous pris séparément, sont pas d'un très grand intérêt. Et elle les a mélangés, tracé ces petits boudins avec une poche à douille sur la plaque qu'elle avait beurrée. Et puis, elle m'a demandé de surveiller le four, à cette époque, il n'avait pas de vitre. J'ouvrais souvent et je voyais cette magie de la transformation où ces petits boudins se sont aplatis, sont devenus bruns sur le côté. Ça sentait bon dans la cuisine. Ce jour-là, je me suis dit : "Mais la cuisine, c'est magique !"
Comment étiez-vous enfant ?
Gourmand ! Je rêvais, après le petit-déjeuner, à la pomme que mon père avait mise dans le cartable pour la récréation du matin. Et puis après la récré du matin, je rêvais au déjeuner qu'avait préparé maman. Et puis l'après-midi, c'était arriver au goûter. Le rêve, oui, tournait vraiment autour des sensations gustatives parce qu'à chaque fois, émerveillé, pas forcément par le goût, mais vous savez, ce sorbet fraise, ce froid-là qui vous fait du bien, avant même le goût de la fraise. Ce froid vous réconforte. Ou le chocolat chaud en plein hiver.
"La cuisine, ce n’est pas que le goût, c'est aussi tous ces rapports physiques, tout ce qui vous donne ces sensations, qui ne sont pas anodines."
Guy Savoyà franceinfo
À 16 ans, vous commencez un apprentissage chez les frères Troisgros à Roanne. Que vous ont-ils transmis ?
Je suis passé d'une cuisine familiale à une cuisine réalisée par des grands professionnels, avec des produits d'exception. Je n'avais jamais vu cette manière aussi professionnelle de travailler avec des gestes tellement précis... On est fasciné lorsqu'on est apprenti.
Est-ce que vous avez douté, par moment, dans tout cet apprentissage ?
Bien sûr que l'on doute. Déjà, on doute à cause des autres. On est en 1969, je quitte le lycée de Bourgoin, je suis en fin de seconde. On me prend franchement pour un abruti parce que j'ai choisi la voie de l'apprentissage. Mais pourquoi je choisis cette voie ? Parce qu'à partir du moment où j'ai su lire, écrire et compter, je me suis beaucoup ennuyé sur les bancs d'école. Alors bien sûr, lorsque vous avez les professeurs, les parents, tout le monde qui vous dit : "Ce n'est pas une voie normale, dans l'air du temps", ce n'était pas évident, les adultes vous mettent le doute. Puis après vous-même, et au fil du temps, vous vous dites : "Mais attends, cette répétition quotidienne, n'y a-t-il pas un côté routine ou quelque chose qui nous enferme ?" Je dirais que c'est à chaque artisan de s'appuyer sur son socle de formation et après, faire parler sa propre sensibilité.
Je voudrais qu'on parle de cette première étoile, quand vous l'obtenez.
C'est une joie immense parce que les étoiles et les distinctions en général, je dirais, concrétisent vos efforts et votre manière de faire. Et tout de suite après la première, on pense à la seconde ! On l'obtient, la seconde, quatre ans plus tard. Et après la seconde, on se dit : "Maintenant, la troisième", mais on sait que celle-ci est très compliquée. D'ailleurs, pour moi, elle l'a été, puisque je l'ai attendue 17 ans.
Quand vous l'avez eue, qu'avez-vous pensé ?
La première personne que j'ai appelée, c'est ma maman.
"Je pense qu'à partir de ma troisième étoile, ma mère a vraiment cru que j'étais un bon cuisinier !"
Guy Savoyà franceinfo
Cette troisième étoile est-elle est au cœur de votre travail de tous les jours ?
Oui, elle fait même beaucoup de bien. Mais les défis quotidiens, c'est une remise en question à chaque table et pour chaque convive. Et on n'a pas le choix. Là aussi, je trouve qu'on a des sensations dans ces défis quotidiens. J'essaie de maintenir mon énergie dans toutes ces sensations parce que ce sont de belles sensations.
Quel regard avez-vous sur votre parcours ? Ça ressemble à un conte de fée, même si on sait qu'en cuisine, au quotidien, c'est énormément de travail.
Quand on bosse, quand on a envie, quand on est enthousiaste, quand on a cette volonté de bien faire les choses et que ça marche et que c'est reconnu, c'est génial !
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