Bernard Lavilliers : "Je suis amoureux des mots depuis que je sais écouter"

L’auteur, compositeur et interprète, Bernard Lavilliers, est l’invité exceptionnel du Monde d'Élodie Suigo du 19 au 23 août 2024. Cinq jours, cinq chansons pour mieux connaître cet artiste indomptable, engagé, imprégné par les harmonies musicales et humaines. En novembre dernier, il sortait un album : "Métamorphose" et un livre : "Écrire sur place" aux Éditions des Équateurs.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 16 min
Bernard Lavilliers  sur la grande scène du festival de la Paille, à Pontarlier, le 28 juillet 2023. (ANTHONY RIVAT / MAXPPP)

Bernard Lavilliers est l’invité exceptionnel du Monde d'Élodie toute cette semaine. L'occasion de revenir sur cinq moments forts de sa vie avec cinq chansons de son répertoire. Bernard Lavilliers, auteur prolifique, compositeur et interprète depuis 1965, n'a jamais cessé de nous faire voyager en mélangeant le rock, le reggae, la salsa, la bossa-nova et la chanson française. Fensch Vallée (1976), La Samba (1975), Saint-Étienne (1975), Stand The Ghetto (1980), Kingston (1980), Idées noires (1983) ou encore On the Road Again (1988) autant de chansons devenues pour la plupart des hymnes, la parole de celles et ceux qui ne se faisaient pas et ne se font pas entendre, un arrêt sur image sur certains conflits ou périodes difficiles.

En novembre dernier, le Stéphanois à la voix et au phrasé si emblématiques, sortait un album : Métamorphose et un livre : Écrire sur place aux Éditions des Équateurs. Il sera en concert fin septembre.

franceinfo : L'engagement est un peu le fil rouge dans votre parcours. Qu'est-ce que signifie, pour vous, être engagé ?

Bernard Lavilliers : Fut une époque où être engagé, c'était forcément être membre du Parti communiste. Pour moi, ça ne veut pas dire ça. Le témoin du réel, c'est un engagement à décrire. Être engagé comme un curé dans la foi, ce n'est pas mon genre. Je suis plutôt quelqu'un de critique et qui doute. Je pense que l'engagement idéologique, c'est-à-dire quelqu'un qui ne peut penser qu'entre deux œillères, qui ne peut pas dialoguer avec qui que ce soit, c'est le contraire de moi.

À quel moment vous tombez amoureux des mots ?

Depuis que je sais lire, même pas, depuis que je sais écouter. Et la musique, c'est tellement lié pour moi ! Pourquoi ? Parce que j'écoutais à la vieille radio une femme qui s'appelait Marianne Oswald. Elle récitait les poèmes de Lautréamont, par exemple. Et moi, les mots et la voix qui les porte, ça me faisait ressentir une mélodie. La voix, c'est essentiel dans le chant comme dans la parole et il y a des gens qui ont une voix superbe pour dire des textes, des poèmes en particulier, qui riment ou pas d'ailleurs, mais qui vous accrochent ou pas. C'est comme à la radio, il y a des gens qui ont une voix qui passe parfaitement et d'autres beaucoup moins.

Ce qui est fou, c'est que finalement, grâce à vos parents, vous avez pu avoir accès à la radio, à la musique. Ils avaient aussi une culture qui était très large, c'est-à-dire qu'il y avait à la fois du classique et à la fois des textes, avec cet amour de la poésie et cet amour de "mélomanes". Tout ça vous a transporté, ça joue quand même énormément.

Chez les gens modestes comme mes parents, très modestes même, c'était inclus depuis le départ. Mon père adorait le jazz, l'opéra, les voix et ma mère aimait le classique et la poésie. J'ai donc baigné dans une histoire d'ouvriers. Ils ont été portés par cet amour de la musique, de la poésie et de l'aventure.

Vous vous êtes cherché pendant très longtemps, vous avez fait de la prison et votre père a été assez intransigeant. Il vous a dit : "Il y a deux solutions, soit tu continues ainsi, soit tu apprends un vrai métier".

Il m'a quand même dit qu'il y en avait deux ! Soit je continue à aller en prison, soit je travaille. Effectivement tout ce que j'ai appris, en tout cas, ça me sert toujours aujourd'hui : d'abord le respect du travail bien fait, la haine des chefs, ni Dieu ni maître, ni contremaîtres et la solidarité. La solidarité n'est pas forcément naturelle chez un être humain.

"Dans le monde de l'usine dans lequel je travaillais, 7 000 ouvriers, j'étais 'solidaritude', c'est-à-dire un solitaire, un marginal mais solidaire."

Bernard Lavilliers

à franceinfo

Vous rappelez-vous de votre première chanson ?

Non. J'ai dû écrire des chansons d'amour à la con, sans doute... Je devais m'être pris un râteau avec une fille. Mais je n’ai pas trop insisté dans ce domaine parce qu'assez rapidement, je me suis dit : "Maintenant que tu sais jouer quatre accords, tu vas écrire des trucs un peu méchants contre le pouvoir". Je n'ai pas trop traîné avec les chansons d'amour désespéré.

L'album Les poètes sort en 1972. Trois ans plus tard, on a Le Stéphanois avec des titres forts comme Saint-Étienne, San Salvador, La Grande Marée. Il y a une chanson qui a marqué cette période dans votre quatrième album, Les Barbares, paru en 1976, qui la dévoile, c'est Fensch vallée. Elle s'adresse aux étudiants bourgeois qui soutenaient et portaient la cause des ouvriers. Comment est née cette samba ?

À cause des bourgeois, évidemment. Parce que quand ils prenaient la parole pour le monde ouvrier, ils n'y comprenaient rien.

"Quand je vois des ministres du Travail qui n'ont jamais travaillé en usine, comment le mec peut comprendre ? Intellectuellement, d'accord, mais c'est tellement physique tout ça."

Bernard Lavilliers

à franceinfo

Alors, effectivement, il y avait des petits-bourgeois qui venaient visiter les laminoirs. Je l'ai vécu. Ils ne venaient pas nous plaindre, ils trouvaient cela tellement cinématographique. Les ouvriers qui manipulent de la fonte en fusion à 1 500 degrés, c'est magnifique à voir. Bon, ils ne s'approchaient pas trop non plus, sinon on leur aurait balancé de la fonte en fusion.

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