"Quand on parle de la musique, on parle de la vie" : Bernard Lavilliers raconte les voyages et les rencontres de sa vie dans "Écrire sur place"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 15 janvier 2024 : l’auteur, compositeur et interprète Bernard Lavilliers. Il vient de publier "Écrire sur place" aux éditions des Équateurs.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Bernard Lavilliers sur scène à Saint-Etienne (Loire) le 18 novembre 2022 (R?MY PERRIN / MAXPPP)

Ce qui définit le plus l'auteur, compositeur, interprète stéphanois qu'est Bernard Lavilliers, c'est l'air du grand large. Depuis 1965 et ses premières créations, il n'a jamais cessé de mélanger le rock, le reggae, la salsa, la bossa nova et la chanson française. Il n'a jamais cessé de voyager et plus encore de soutenir les ouvriers et leurs luttes, et donc de s'engager. C'est à travers l'écriture que ses chansons sont nées.

Les mots sont donc son socle, la base de l'harmonie qu'il recherche depuis plusieurs décennies. Il vient de publier Écrire sur place aux éditions des Équateurs.

franceinfo : Est-ce que ce livre, Écrire sur place, est un hommage que vous souhaitiez rendre à ce que justement l'écriture vous a offert ?

Bernard Lavilliers : Oui, parce que je ne trouvais pas de titre. Un titre plus poétique, plus évocateur, une sorte de métaphore. Et finalement, j'en suis resté, comme Blaise Cendrars ou d'autres, à Écrire sur place. Parce qu'au fond, je suis sur place, dans un pays dont je ne parle pas forcément la langue ou à moitié, où je vais écouter des musiciens qui viennent toujours pour la plupart du peuple. Donc je rencontre des gens qui sont de même niveau que moi, ou même plus bas, qui me racontent comment ils vivent et comment ils gagnent leur vie, mal, avec la musique. Donc tout ça est très intéressant. C'est une époque où moi aussi je gagne ma vie très mal avec la musique. On parle de la vie quand on parle de la musique parce que tout le monde joue de la musique, tout le monde écoute de la musique toute la journée.

"Si on arrête la musique, c'est comme si vous arrêtiez de respirer. Si c'est trop long, c'est fatal."

Bernard Lavilliers

à franceinfo

Écrire sur place est un carnet de route, c'est vraiment les moments les plus forts de votre vie. Vous nous embarquer de Saint Étienne à l'Amérique du Sud. La première escale, c'est la Lorraine et le Caveau des Trinitaires à Metz. Longtemps, vous avez officié avec des contrats tous les trois mois et pourtant, à aucun moment on ne comprend que vous vacillez.

C'est-à-dire qu'à partir d'un moment, je me suis dit que éventuellement, je pouvais renier mes tendances de grand banditisme. Donc, à partir du moment où j'ai écrit des chansons et que j'ai commencé à avoir des producteurs, en 1976 ou 1977 quand j'ai rencontré Michel Martig, qui est devenu mon manager, c'est allé assez vite au fond. Je n'ai jamais fait de première partie. Je suis le seul artiste que je connaisse qui n'ait jamais fait de première partie. Donc je chantais dans des Maisons des jeunes et de la culture, avec un matériel extrêmement dérisoire. Mais je m'étais mis là dedans. Il ne fallait pas que ça dure trop longtemps. Mais j'étais dans le timing et après j'ai signé avec Eddie Barclay. 

C'est la première personne qui croit en vous d'ailleurs.

À fond. Il avait les moyens, il me disait : "Tu as besoin de combien ?" Je lui dis : "J'ai besoin d'argent pour acheter un camion et une sono". J'avais besoin d'affiches parce que mon manager râlait parce qu'on avait pas d'affiches, grâce à lui on en avait partout, et c'est ce qui pouvait nous permettre de faire des tournées. Et c'est ce qu'on voulait faire mais, il fallait trouver un groupe, monter un groupe, être sérieux quand même tout en rigolant. Mais je suis un travailleur moi. Donc j'ai hérité ça de mon père.

C'est ça aussi qui fait votre force. C'est ça aussi qui vous a permis de garder en vous ces convictions et d'aller jusqu'au bout de vos convictions et donc de vos rêves et de vos envies.

Quand je suis allé en prison, d'abord, mon père m'a dit : "Tu veux continuer à aller en prison ? Donc il faut que tu travailles." Donc j'ai travaillé dans son usine. J'ai appris à être tourneur sur métaux. J'ai fait ça pendant trois ans, j'étais super qualifié et je suis parti au Brésil. Et qu'est ce que j'ai fait au Brésil ? Tourneur sur métaux !

Est-ce que l'usine n'est pas finalement le socle de l'homme que vous êtes devenu ?

Moi je ne risque pas de m'acheter des Ferrari, ça n'a jamais été possible et jamais intéressant pour moi. Je reste un ouvrier, c'est-à-dire que je suis un ancien pauvre, ce n'est pas pareil qu'un nouveau riche. Nous on respecte le fric aussi parce qu'il y en a toujours besoin pour les autres. Vous savez, un artiste, c'est celui qui gagne son métier avec son art pour moi et tant qu'il ne le fait pas, c'est un amateur. Il faut prendre des risques pour être un professionnel dans tous les cas. Donc moi j'ai pris sans arrêt des risques dans les voyages et même dans les chansons que j'ai écrites sur le pouvoir. On m'aurait peut-être arrêté maintenant, c'est possible.

Metz est l'un de vos ports d'attache, c'est aussi là que vous avez été désigné déserteur parce que vous refusiez de porter l'uniforme. Vous avez été mis à l'isolement.

D'abord j'étais déserteur sans le savoir puisque je n'étais pas là, j'étais au Brésil. J'avais oublié, moi...

Êtes-vous indomptable ?

Il ne faut pas me braquer. Si je dis non, c'est non. Et puis après les conséquences vont avec. Mais moi je ne bouge pas, croyez-moi. Il ne faut pas me braquer, c'est tout.

Pour terminer, On The Road Again vous colle à la peau. Que représente cette chanson ? Finalement, c'est la définition de l'homme que vous êtes. Vous êtes très souvent sur la route.

On The Road Again, c'est une façon de ne jamais s'arrêter. C'était la mélodie d'un Chilien qui s'appelait Sebastian Santa Maria. Cette mélodie partait dans tous les sens. Une chanson c'est une mélodie, donc j'ai pris ce bout-là, je le joue à la guitare et pendant toute la nuit je me demande : qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter sur cette chanson ? Parce que quand c'est la mélodie d'un autre, je vais écouter ce qu'elle me dit. Je trouve ce que la mélodie me raconte, à ce moment-là, dans l'état où je suis et j'ai trouvé On The Road Again en premier. Il y a quatre accords, ce sont toujours les mêmes et après j'ai trouvé pour rigoler : "Nous étions jeunes et larges d'épaules, bandits joyeux, insolents et drôles". Ah ! Je me suis dit : ça, c'est super ! C'est moi. Je suis un bandit joyeux, c'est vrai.

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