"Devenir écrivain, ça a été ma manière à moi de devenir un oiseau" : Amélie Nothomb raconte son cheminement intérieur dans son nouveau roman "Psychopompe"
La romancière belge Amélie Nothomb possède une personnalité assumée, pleine de fragilité et de force, et sa plume affûtée est prolifique. Depuis qu'est sorti son premier roman Hygiène de l'assassin il y a 31 ans, elle publie un livre par an. Tous font partie des meilleures ventes littéraires et sont traduits dans plusieurs langues. Les prix font aussi partie intégrante de son parcours avec le Grand Prix du roman de l'Académie française pour Stupeur et tremblements en 1999 ou encore le prix Renaudot en 2021 pour Premier sang.
Son nouveau roman intitulé Psychopompe vient d'être publié aux Éditions Albin Michel. Psychopompe est un roman, mais il est construit comme le conte de la Grue Blanche, que Nishio-San, sa gouvernante japonaise devenue amie, lui racontait à l'âge de quatre ans. Dans ce conte, la grue blanche est symbolisée par une femme, mais elle est avant tout un oiseau.
franceinfo : Vous démarrez Psychopompe avec un souvenir qui nous rapproche de vous. Vous racontez le Japon, votre père et l'importance des oiseaux dans votre équilibre de vie.
Amélie Nothomb : Oui, c'est un des mystères de ma vie. L'oiseau est arrivé assez vite comme une obsession pour moi, de façon croissante et sans que je comprenne. Alors bien sûr, les oiseaux, c'est très beau, tout le monde aime les oiseaux, mais moi, c'était différent. L'oiseau m'obsédait et m'obsédait anormalement. Je n'avais pas d'explication. Si on me demandait pourquoi les oiseaux étaient à ce point une obsession pour moi, je ne pouvais pas le dire. Il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre que si l'oiseau était une figure centrale dans mon obsession, c'est parce que j'allais à ma façon emprunter la voie de l'oiseau. Comprenons-nous bien, je ne me suis pas encore envolée, même si, bien évidemment, c'est mon objectif, mais je crois que pour moi, devenir écrivain, ça a été ma manière à moi de devenir un oiseau.
On comprend mieux la sensibilité que vous avez. C'était aussi une façon de nous donner des clés là-dessus, de nous faire comprendre qui vous étiez au fond de vous-même ?
Oui, et puis c'était surtout une façon pour moi de comprendre, parce que c'est une chose qui a toujours été mystérieuse pour moi. Quand on est obsédé par les oiseaux, forcément on développe son observation. Il y a toujours un oiseau quelque part, il faut être prêt à le voir. Il faut devenir très rapide mentalement parce que la rapidité mentale de l'oiseau, c'est quelque chose d'effrayant.
"Je pense qu'aucune chose ne m'a plus influencée dans la vie que cette obsession aviaire."
Amélie Nothombà franceinfo
À tel point que vous allez en parler à vos parents. La seule personne qui prend conscience de ça, qu'il se passe quelque chose et que vous avez cette sensibilité-là, c'est votre père. On se rend compte d'ailleurs, à travers cet ouvrage, à quel point vous étiez liée avec votre père.
C'est tout à fait vrai. J'ai toujours entendu dire, depuis que je suis toute petite, que je suis le sosie de mon père, ce qui, d'ailleurs, m'intriguait profondément quand j'étais enfant. J'étais une petite fille, je portais une robe et on me disait "mais c'est son père, ce n'est pas croyable !" et je me souviens que je les écoutais en ayant conscience que c'était une parole importante et en même temps, j'avais envie de leur dire : "mais quand même, ouvrez les yeux, je suis une petite fille, je ne suis pas un monsieur !" Mais en fait, ils avaient raison. Alors nous ne faisons pas du tout le même métier - je parle de lui au présent alors que malheureusement il n'est plus - il était diplomate. Qu'est-ce qu'un diplomate ? C'est quelqu'un qui essaye de rétablir la paix par les moyens du langage. Ce n'est pas exactement ce que je fais, mais ce que je fais accorde aussi une importance démesurée au langage. Disons que ce sont deux emplois différents du langage, mais où le langage est essentiel.
À travers cet ouvrage Psychopompe, on sent que vous retrouvez une partie de votre enfance et que vous redonnez vie à vos parents.
Oui. C'est exactement ça d'où le titre : Psychopompe. Qu'est-ce que psychopompe ? Cela désigne l'escorte des âmes. En mythologie, c'est une donnée très importante. Il y a des dieux psychopompes, comme Hermès. L'idée est que certaines personnes ou certaines divinités peuvent aller des deux côtés de la mort et que finalement, la mort n'a rien d'une frontière infranchissable. Il m'est arrivé la tragédie commune : j'ai perdu mon père, mais ce qui est tout à fait étonnant, c'est qu'alors que j'avais une très belle relation avec lui, cette relation est devenue mille fois plus forte depuis qu'il est parti. Comme si d'être de l'autre côté de la frontière exacerbait notre relation. Évidemment, ça m'a donné énormément de joie, mais aussi pour un écrivain, c'est quelque chose d'énorme, parce qu'on se dit que si la mort n'est pas une frontière infranchissable, quelle mine d'or d'informations on peut trouver là ! Finalement, la fonction psychologique de psychopompe, les fonctions mythologiques de psychopompe, le métier d'écrivain est en rapport complet avec cela !
"Ma manière à moi d'être psychopompe consiste à être écrivain."
Amélie Nothombà franceinfo
Que vous procure l'écriture ?
L'écriture, c'est toute ma vie. C'est à la fois ma création, mon moyen de compréhension. Maintenant, c'est devenu aussi ma connexion avec les chers disparus. Je dois dire que l'écriture me comble à tous les niveaux. Elle est aussi mon moyen de rencontrer les gens. Moi qui, à la base, étais quelqu'un d'épouvantablement solitaire et qui en souffrais beaucoup, je connais des gens grâce à l'écriture. Par exemple, je vous connais, vous, et ce n'est pas la moindre des choses, n'est-ce pas, Élodie ? Mais j'ai aussi beaucoup de lecteurs qui sont devenus des amis et même parfois des amis intimes, que je n'aurais jamais rencontrés s'ils n'avaient pas lu mes livres.
Il y a toute une symbolique dans l'écriture, c'est la symbolique de la plume ?
C'est la symbolique de la plume. Et vous avez raison, ne serait-ce que le fait qu'on appelle plume le moyen d'écrire. Or, vous savez que j'écris toujours à la plume puisque je ne sais même pas ce que c'est qu'un ordinateur. Eh bien oui, tout ceci prouve que je suis un oiseau et que je suis psychopompe.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.