"Dix-huit ans, c'est l'âge où la société considère que vous êtes adulte " : Riad Sattouf publie un ultime épisode des "Cahiers d'Esther"
Riad Sattouf est cet auteur de bande dessinée devenu l'ami des adolescents, mais pas que, depuis la création des Cahiers d'Esther en 2015. Esther avait neuf ans à ce moment-là et ce sont les histoires vraies d'une vraie jeune fille. Papa des séries de bande dessinée Les Pauvres Aventures de Jérémie, Pascal Brutal, La vie secrète des jeunes, il est aussi celui qui a réalisé Les Beaux Gosses, film qui a marqué énormément de générations. Auteur aussi, soulignons-le de L'Arabe du futur, Riad Sattouf est double lauréat du Fauve d'or du Festival d'Angoulême, il a également reçu le Grand Prix d'Angoulême en 2023.
Aujourd'hui, il publie Les Cahiers d'Esther - histoire de mes 18 ans aux éditions Allary.
franceinfo : Vous aviez dit que vous accompagneriez Esther jusqu'à ses 18 ans. On y est. Ça signifie que c'est le dernier ?
Riad Sattouf : Oui. En tout cas, je ne ferai pas Histoire de mes 19 ans. Peut-être un jour, qui sait, si Esther devient présidente de la République ou qu'elle est emprisonnée... S'il se passe quelque chose, peut-être pourra-t-on refaire quelque chose ensemble. C'est vrai qu'à la base lorsque j’ai commencé Les Cahiers d'Esther, je m'étais fixé cette limite des 18 ans parce que c'est l'âge, pour moi, où la société considère que vous êtes adulte. Alors évidemment, vous n'êtes pas adulte à 18 ans et je voulais lui laisser la responsabilité de ses propos à partir de 18 ans. Avant, comme elle était mineure, on peut lui pardonner si elle dit des méchancetés.
Vous avez dit plusieurs fois qu'Esther considérait que vous faisiez un peu partie des vieux, on ne va se mentir. Avez-vous l'impression de grandir avec elle ?
Oui, bien sûr. Alors c'est ça qui est très amusant, notamment dans cette bande dessinée. Ce dont je me suis rendu compte, c'est que toutes les générations d'adolescents se ressemblent un petit peu et ont énormément de points communs. Les adultes ont extrêmement peur des jeunes en pensant que les jeunes sont la prochaine génération qui va créer l'apocalypse, qu'ils ont deux neurones. C'était déjà pareil quand j'avais 16 ans, on était consterné par les adultes de l'époque. C'est drôle d'observer ça et ce qui est encore plus marrant, c'est de voir qu'Esther maintenant qu'elle a 18 ans, c’est elle qui commence à se plaindre des jeunes. Elle m'a dit récemment : "Oh là, les 2010 et les 2011, je ne peux pas les supporter". C'est amusant d'avoir pu encapsuler ça dans ses albums.
Vous a-t-elle aussi fait changer, par moments, votre propre regard ? Par exemple, vous abordez la politique avec une élection illégitime à l'intérieur de cet ouvrage. Là, on est en plein cœur d'un remaniement ministériel avec une dissolution de l'Assemblée nationale annoncée par le président de la République. Est-ce que justement vous avez le sentiment, vous, que les jeunes voient la politique différemment ?
"Quand j’étais adolescent, le monde était beaucoup plus mystérieux et les choses semblaient beaucoup plus lointaines."
Riad Sattoufà franceinfo
Je pense que c'est plus difficile sans doute pour les jeunes aujourd'hui. À mon époque, tout était beaucoup plus loin. Pour ma part, je rêvais d'être auteur de bande dessinée. Je ne savais pas comment vivait un auteur de bande dessinée. Il n'y avait aucun document, pas de vidéos. Les auteurs de BD ne pouvaient pas avoir des comptes Instagram. Il y avait quelque chose de très mystérieux et c'est pareil en politique. Tout semble sujet à manipulation, à mensonge. C'est très facile de comprendre les trucs de travers, de suivre des théories qui existaient déjà à mon époque mais qui n'étaient pas aussi répandues. Je pense que c'est très compliqué de se faire un avis. D'ailleurs, on le voit bien justement dans cette forme de radicalisation que peuvent peut-être avoir parfois les jeunes, que ce soit à droite ou à gauche. Ils choisissent une tribu et c'est elle qui a raison contre toutes les autres et parfois, cela semble complètement déconnecté de la réalité.
Quelle est la différence alors entre l'auteur qui l'a croqué, qui l'a suivi, qui a discuté avec elle et la femme qu'elle est devenue ? Et même l'enfant qu'elle a été.
Eh bien c'est énormément de points communs. C'est drôle parce qu'au moment d'aborder le bac, je m'en souviens, j'avais exactement les mêmes angoisses, je m'en étais fait une montagne alors qu'en fait c'est une petite colline et que le plus dur restait à venir. Et les grandes différences, c'est le rapport au monde, c'est le fait qu'à mon avis, c'est très compliqué pour un jeune, aujourd'hui, d'être passionné. Alors, vous rêvez d'être chanteur, par exemple, ou d'être chanteuse. Vous chantez, vous pouvez mettre des vidéos tout de suite sur Instagram, de vous en train de chanter. Déjà, personne ne regardera ou bien quelques personnes tomberont dessus, et ils commenceront par vous insulter, par dire : "C'est nul". Ça doit être très difficile de se trouver. Et c'est une des raisons pour lesquelles je pense qu’Esther a abandonné un peu ses rêves, elle a envie d'un truc pénard. Tout ce qu'elle désirait, c'est un petit peu évaporé quelque part, il y a une petite mélancolie.
Je voudrais savoir si vous avez réussi, finalement, à garder vos yeux d'enfant ?
"En vrai, je crois que personne ne perd vraiment ses yeux d'enfant."
Riad Sattoufà franceinfo
Les yeux d'enfant, c'est la capacité à être un peu intéressé par le monde extérieur. Quand on vit des choses de manière routinière, on arrête d'être enthousiaste. Moi je sais que dans le monde actuel, les nouvelles générations m'intéressent énormément. Est-ce que c'est un regard d'enfant ? Je ne sais pas. Mais, en revanche, montrer le monde à hauteur d'enfant, je trouve ça passionnant.
Pour terminer, quelle est la suite ?
En octobre prochain, je vais sortir une nouvelle série de bande dessinée, de roman graphique qui est encore un peu secrète. Et là, j'ai fait une bande dessinée sur le parcours de Vincent Lacoste, l'acteur qui avait joué dans Les Beaux Gosses, qui depuis a eu une carrière incroyable. On va faire le second tome de notre bande dessinée en juin 2025.
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