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"Écrire, c'est apprivoiser la mort" : Philippe Delerm publie son nouveau livre, "La vie en relief"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’écrivain Philippe Delerm.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Philippe Delerm à Paris lors du Salon du Livre le 25 mars 2017 (FREDERIC DUGIT / MAXPPP)

Philippe Delerm est écrivain, auteur de recueils de poèmes en prose parmi lesquels La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (1997) qui a été et reste un immense succès. Ce minimaliste positif publie un nouveau livre : La vie en relief aux éditions du Seuil.

Elodie Suigo : Qu'on se le dise, le passé n'est pas un monde perdu ! C'est ce que j'ai retenu à la lecture de La vie en relief. Comme vous le dites si bien : "Je ne suis pas de mon temps, je suis de tout mon temps". J'ai l'impression que c'est une philosophie de vie, une quête.

Philippe Delerm : Oui. C'est un sentiment que j'ai depuis cinq ou six ans qui accompagne le passage à un âge qui commence à être conséquent, je viens d'avoir 70 ans. Avec un paradoxe, le fait de se sentir un peu moins bien dans son corps, un peu raide et puis, par contre à l'intérieur, le sentiment de ressentir des choses avec une certaine ampleur et notamment d'avoir l'impression de vivre un peu plusieurs âges de la vie en même temps.

Vous racontez quand vous étiez étudiant ce côté contemplatif que vous aviez, même voyeur ! Vous dites que ce voyeurisme-là vous a permis aussi d'être l'homme que vous êtes devenu.

C'est vrai que globalement, je suis un peu un glandeur qui s'est un peu corrigé tout au long de l'existence parce que j'ai eu la chance de faire un métier de prof que j'aimais énormément. Mais par ailleurs, j'ai un tempérament très contemplatif, spectateur et quand on prend vraiment de l'âge, alors là ça devient très facile d'être spectateur parce qu'on n'est plus dans le regard. On n'est pas vraiment sorti du jeu mais on n'est plus dans la séduction, on est très privilégié pour justement pouvoir regarder les choses et essayer aussi de laisser revenir tout ce que l'on a pu être en même temps que ce que l'on est.

Vous rendez hommage à ceux que vous aimez, avec qui vous vivez aussi. Beaucoup de regards vers vos grands-parents, cette ambiance à la ferme.

Oui. C'est une chose un peu amusante parce que toutes mes racines familiales sont dans le Tarn-et-Garonne, mes quatre grands-parents étaient paysans. Et dans la ferme de mes grands-parents paternels, il y avait toujours des discussions et les hommes parlaient toujours de "bouilleur de cru". J'entendais cette expression. C'est cette loi qui permettait aux paysans de distiller une vingtaine de bouteilles d'eau-de- vie et qui avait été abrogée, rendant les paysans furieux. Et ce mot "bouilleur de cru" m'est revenu quand j'ai écrit La vie en relief parce que j'ai toujours été fasciné par les eaux-de-vie, par ce pouvoir de l'alcool de contenir le fruit et d'être transparent. 

C'est ma devise d'écriture. C'est de faire de l'eau-de-vie, de faire quelque chose qui soit fruité avec la transparence en même temps.

Philippe Delerm

à franceinfo

Donc, j'ai risqué cette formule: "Je suis bouilleur de cru du temps qui m'est donné."

Vous revenez aussi sur votre parcours, sur les dix ans pendant lesquels vous avez envoyé vos manuscrits. Vous dites que c'était long et que c'était finalement assez violent.

Ma carrière littéraire a été longue à se dessiner et puis, tout d'un coup, après le succès qui est arrivé, je ne sais pas si c'est cela, mais il y a quelque chose en moi qui fait que je m'étonne toujours d'être écrivain, et même, je peux arriver à penser que je rêve d'être écrivain.

J'ai l'impression que vous vous êtes aussi découvert à travers ces pages.

Oui. Alors je me suis découvert au sens propre et j'ai entrouvert la porte aussi d'une façon un peu différente que d'habitude où je propose plus de choses à partager mais qui peuvent être aussi à tout le monde. Là, Il y a bien sûr des choses dont j'espère qu'elles peuvent être partageables mais il y a aussi le rapport avec mes plus intimes parce qu'en s'approchant comme ça de ce qui fait vraiment mon rapport essentiel à la vie, je ne peux pas l'évoquer sans évoquer vraiment le rapport que j'ai avec les gens que j'aime.

Je me suis rendu compte que ça faisait partie de ma façon d'être, de pouvoir rêver à des choses que j'avais déjà.

Philippe Delerm

à franceinfo

Pour vous, "Les toutes petites choses sont la vraie aventure. Elles nous contiennent et nous inventent, elles nous augmentent et nous rassemblent mais leur parole est loin sous le sommeil, sous le silence".

J'ai mis très longtemps à aller vers les petites choses comme ça. Ça a commencé vraiment avec une première idée de texte, celle d'écrire sur cette sensation qu'on a quand on a des espadrilles qui se mouillent un jour d'été. Et là, je me suis dit : "Tiens, il y a des chances que personne d'autre n'ait écrit là-dessus déjà, ce qui est quand même bien". C'est ce que je disais toujours justement aux élèves dans mes classes : "Si vous voulez séduire quelqu'un, rencontrer quelqu'un, dites plutôt quelque chose de très particulier que quelque chose que tout le monde a déjà dit."

Vous dites que vous avez toujours aimé l'ennui, "et qu'on regrette quelquefois de ne plus attendre, on est comme en apesanteur dans l'idée de sa vie, on s'approche et on se détache en même temps. L'heure n'existe plus, mêlée à toutes les heures incertaines."

J'ai vécu mon enfance, je suis né en 50, à une époque où on restait à table, où on s'ennuyait souvent mais peu importe, j'étais ailleurs et je le suis toujours en fait. J'aime bien rêvasser de façon un petit peu indéfini et je sens que cela me constitue aussi.

Vous parlez de la mort. Ce n'est pas quelque chose que vous avez souvent évoqué et vous dites : "Je ne peux pas appeler ça regarder la mort en face, je ne suis pas fait pour regarder la mort en face, simplement pour l'apprivoiser, écrire."

C'est vrai que pour moi, écrire, c'est apprivoiser la mort. Dans La vie en relief j'évoque aussi mes parents. Le rapport très particulier que j'avais avec ma mère pour qui je n'ai pas été assez triste quand elle est morte, par rapport à tout ce qu'elle était pour moi. Et après, je me suis rendu compte que si je n'étais pas assez triste, c'est parce qu'elle était toujours vivante. Ça aussi, cela fait partie de La vie en relief, d'avoir ses morts avec soi.

À la fin, vous dites : "Je n'ai pas l'impression d'avoir été enfant, adolescent, homme d'âge mûr, puis vieux. Je suis à la fois enfant, adolescent, homme d'âge mûr et vieux. C'est sans doute un peu idiot, mais ça change tout."

Oui, idiot et heureux finalement. Oui, je crois que c'est un peu moi !    

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