"Enfant, tous les soirs, avant de m'endormir, j'essayais d'imaginer l'infini" : une BD sur un voyage astronomique par David Elbaz

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 26 novembre 2024 : l’astrophysicien et directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique, David Elbaz. Il publie une BD, "Alma - Voyage d'un astronome en terre inca", avec Mathieu Fauré aux dessins, aux éditions Alisio Sciences.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
David Elbaz, astrophysicien. (RADIO FRANCE)

David Elbaz est astrophysicien, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique (CEA Saclay), où il dirige le laboratoire "Cosmologie et évolution des galaxies". Il est également conseiller auprès de l'Agence spatiale européenne. Mardi 26 novembre, il nous présente Alma - Voyage d'un astronome en terre inca, avec Mathieu Fauré aux dessins, un voyage initiatique en bande dessinée, publié aux éditions Alisio Sciences.

Alma est le plus grand observatoire astronomique du monde, situé au cœur du désert d'Atacama, le désert le plus aride, ressemblant à la planète Mars. La BD est à l'intersection de l'astrophysique et de la culture indienne ancestrale menacée d'extinction.

franceinfo : Vous démarrez cet ouvrage en écrivant : "Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rencontres". Que voulez-vous dire ?

David Elbaz : Alors c'est vrai, je suis allé dans le désert d'Atacama, j'ai rencontré ces Indiens, un chamane, un chef de communauté indienne, et il m'a dit : "Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rencontres". Il a ajouté une phrase qui m'a marqué et que je n'ai pas du tout comprise à ce moment-là : "ici, il n'y a rien et en même temps il y a tout". Et puis c'est resté dans ma tête jusqu'à ce que je réalise que dans leur sous-sol, il y a l'avenir de la planète parce qu'il y a du lithium qui sert à faire les batteries pour les voitures électriques pour sauver la planète.

Une exploitation que vous aimez dénoncer.

Oui, parce qu'on sacrifie effectivement leur réserve d'eau. Ils ne vont plus pouvoir vivre pour que d'autres continuent à surproduire. Et ils m'ont dit : "Nous, quand on regarde le ciel, il faut que ça serve à quelque chose, il faut que ça serve aux hommes. Et vous, quand vous regardez le ciel, à quoi ça sert ?" Moi, je suis astrophysicien, je regarde la naissance des étoiles, ça ne sert pas vraiment. Alors je leur ai dit : en fait, vous, quand vous regardez le ciel, c'est comme l'œil gauche, vous le voyez d'une certaine façon. Nous, c'est comme l'œil droit. Ils ont souri et c'est là que cette rencontre a eu lieu.

"Quand on accepte deux regards différents sur le monde, alors on peut avoir une autre vision, une autre profondeur sur le monde."

David Elbaz

à franceinfo

Ils ont d'autres noms de planètes que ceux que vous leur avez donnés en tant que scientifique. Et au final, tous se recoupent.

Exactement. On construit le plus grand télescope du monde sur leur terre. Alma qui signifie "âme" en espagnol. Or, ce télescope vise à voir naître des planètes comme la Terre et des étoiles dans des nuages de poussière interstellaire qui sont considérés, ces nuages, par les Indiens comme l'âme des animaux. Et par une étrange coïncidence, on construit un télescope qui s'appelle "Âme" pour regarder ça et qui valide le fait que la vie vient bien de là. C'est juste une coïncidence, mais c'est magnifique.

Enfant, vous vous êtes toujours posé cette question : l'infini, c'est quoi ? Cela renvoie à la mort et ça vous a hanté pendant très longtemps. Est-ce ce qui vous a donné envie de devenir astrophysicien ?

Effectivement, tout petit, je me posais cette question tous les soirs. Je me disais en fait, ce n'est pas possible qu'on ait une durée de vie, qu'on meurt, que nos parents disparaissent. Et puis je me disais : je ne vais pas mourir parce que je ne peux pas imaginer la mort. Sauf que j'avais entendu parler du fait qu'il y avait un univers infini et je n'arrivais pas à l'imaginer. Alors, tous les soirs, avant de m'endormir, j'essayais d'imaginer l'infini. Puis j'arrivais à une limite au-delà de laquelle je n'y arrivais plus. Et là, je comprenais que j'allais mourir. Je filais direct dans le lit de mes parents. Et je crois qu’inconsciemment, à travers le métier d’astrophysicien, j'essaye de reprendre cet exercice qui consiste à essayer de dépasser ça. Et finalement, ce que j'ai découvert, c'est autre chose. C'est qu'en fait l'univers n'est pas éternel du tout, il n'arrête pas de changer, il a eu un commencement. C'est lui qui est comme nous. Et donc c'est une leçon de vie et d'humilité de se rendre compte qu'en fait tout change en permanence.

Quand vous étiez enfant, l'école n'était pas votre truc. Ça montre justement que quand on a une passion, on peut y arriver.

Bien sûr. J'ai un collègue argentin arrivé en France qui a voulu prendre un étudiant et on lui a dit : "Ne prends pas cet élève". Alors il a répondu "pourquoi ?" - "Ce n'est pas un des plus intelligents, il n'a pas fait la plus grande école". "Ah bon, mais à quoi ça sert ? " Alors on lui a expliqué que ce sont eux qui savent le mieux répondre aux questions. "Ce n'est pas ça que je cherche, moi, je cherche quelqu'un qui sait bien poser les bonnes questions". Tout était là. Et aujourd'hui, parmi ceux qui nous écoutent, il y a des jeunes qui se disent "moi, la science ce n'est pas pour moi", beaucoup de jeunes femmes à qui on dit "mais une femme, ça n'a pas vraiment le cerveau fait pour la science". Ça signifie quoi ? Qu’on sacrifie 50% de la population mondiale, ça signifie qu'il y a des découvertes extraordinaires qu'on n'a pas eues parce qu'on ne les a pas eues. L'histoire montre que des femmes ont transformé nos visions du monde. D'ailleurs, si on enlève ces femmes, l'univers n'est plus ce qu'il est. C'est fondamental d'être capable de retrouver cette capacité qui est au-delà du jugement.

"À tout moment, quelqu'un qui a un esprit curieux peut tout changer."

David Elbaz

à franceinfo

Est-ce que c'est difficile de trouver un langage commun et de pouvoir réussir à traduire des mots très scientifiques, très difficiles à comprendre pour le citoyen lambda ?

Je crois que ce qui parle le plus aux gens, ce sont les histoires. Si je vous donne du sucre blanc ou si je vous donne de l’ananas, dans les deux, il y a du sucre. Mais bon, l'ananas a un goût différent, c'est plus facile à digérer. On voudrait donner du sucre aux gens en leur disant : "Voilà, le second principe de la thermodynamique dit que l'univers tend vers plus d'entropie". Pardon, excusez-moi, je vous le dis autrement : "L'histoire de l'univers est l'histoire d'un monde qui ne cesse de se structurer en créant des sources de lumière. Parmi ces sources de lumière, il y a l'être vivant dont l'être humain". Et c'est la même histoire, mais il y en a une avec l'ananas et l'autre avec le morceau de sucre. Et c'est ça pour moi qui est important.

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