Gérard Manset sort un nouvel album "L’Algue bleue" : "Quand j'ai parlé de voyages, cela a toujours été des itinéraires intimes et personnels"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 10 mai 2024 : l’auteur, compositeur, interprète et oiseau rare de la musique française, Gérard Manset. Il nous parle de "L'Algue bleue", son 24e album.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Gérard Manset, 2006. (MARC CHARUEL / MARC CHARUEL)

Gérard Manset fait partie de ces artistes impossibles à définir, non pas parce qu'ils sont inclassables, ce qu’il est aussi, mais parce qu'ils ne ressemblent à aucun autre. Ces artistes rares ont un point commun, ils sont indomptables, francs, directs et ils n'aiment pas trop le monde médiatique et encore moins les paillettes qui vont souvent avec. C'est avec le titre Animal on est mal, sorti en 1968 et qui a marqué les esprits en pleine période contestataire, qu'on découvre sa voix. Son œuvre pluridisciplinaire a été saluée en 2017 par l'Académie française, qui lui a décerné la Grande Médaille de la chanson française. Aujourd'hui, il est de retour avec L'Algue bleue, son 24ᵉ album studio.

franceinfo : Axé sur cette notion du temps qui passe, du sablier qui s'écoule, cet album est aussi une invitation au voyage, l'une de vos passions. On a l'impression qu'il s'agit plus d'un voyage intérieur cette fois-ci.

Gérard Manset : Oui, mais ils le sont tous. Quand j'ai parlé de voyages, cela a toujours été des itinéraires intimes et personnels. Au long des albums, il y a toujours quelques titres qui se promènent là-dedans. Là, j'ai un peu botté en touche puisque je suis passé sur la Lune, donc c'est une destination un tout petit peu plus improbable, mais j'y suis encore chez moi.

Étonnamment, on découvre des facettes, car il y a cette retenue, cette pudeur que vous avez toujours eue, qui vous permet de parler de votre enfance. Est-ce que l'enfant que vous étiez finalement est satisfait de l'homme que vous êtes devenu ?

Ah la question, je ne me l'étais jamais posée. Elle est très intéressante. Eh bien, je pense que oui, parce qu'il est toujours à côté de moi, il me tape sur l'épaule, il surveille ça de loin, le sourcil froncé. Il doit même jubiler des écueils que j'ai pu éviter et des tempêtes privées que j'ai traversées dans tous les coins du monde d'ailleurs.

"Le petit garçon que j’étais est toujours là et finalement il est satisfait."

Gérard Manset

à franceinfo

À quel âge avez-vous découvert la poésie, la littérature, la force des mots, le pouvoir des mots ?

J'étais très médiocre dans toutes les classes de lycée, je n'écoutais pas trop. Peut-être que les premières fois où j'ai été très intrigué, c'était avec "Voici le trou, voici l'échelle. Descendez" dans le poème L'Égoût de Rome de Victor Hugo. Je devais avoir 12 ou 13 ans, c'était en classe. J'ai feuilleté quelques pages. Puis très longtemps après, ça a été Ronsard, où tout est une merveille. Puis je me suis mis à lire sur le tard, vers la quarantaine à peu près, avec Paul Gauguin, Oviri : Écrits d'un sauvage et puis, je suis entré dans les Zola, les Balzac, et là, je n'en ai plus décollé.

Comment vivez-vous dans le monde d'aujourd'hui, vous qui refusez d'être connecté ?

Je suis très hermétique à tout ça, parce que ça empiéterait trop sur mon univers imaginaire, qui a besoin de respirer, qui a besoin, comme l'enfant dont on parlait tout à l'heure, d'être seul. Et cette bulle parallèle à lui qu'il traîne partout, ce ballon d'oxygène qu'est l'imaginaire, évidemment, que tout ce qui peut empiéter dessus, comme les réseaux, comme les téléphones portables et comme tout ce qui est Internet aujourd'hui, c'est non.

Votre voyage a très longtemps été solitaire et la solitude vous a toujours accompagné. Vous l'abordez d'ailleurs cette solitude dans vos textes. Quelle place occupe-t-elle dans votre vie ? Est-elle nécessaire ? Est-elle étouffante ?

Elle est et elle n'est pas. Parce qu'il y a solitude et il y a non-solitude. J'ai heureusement été suivi, courtisé, accompagné, espéré, attendu dans des tas d'endroits. Et pour le dire simplement, je suis habité d'une sorte de tare de naissance, qui fait que je ne m'attache pas. Je suis l'homme des étapes, les unes après les autres. Et dans les voyages, ça a été comme ça. C'était un jour Bogota, un jour Manille. Et dans toutes ces histoires-là, il me reste quand même la pérennité de la littérature. Là, j'y retourne.

Les gens éprouvent un énorme attachement pour vous. Comment le vivez-vous ? Vous n'aimez pas vous attacher, mais ils sont attachés à vous.

Oui, il semblerait qu'il y ait quelque chose qui remonte du sol. J'ai des manifestations d'estime, presque d'amour, qui sont beaucoup plus denses qu'avant. Je crois que ça devient indispensable pour quelques-uns. Or, je ne vais pas citer des noms, je vais dire Biolay ou je ne sais qui, sont-ils indispensables ? À qui sont-ils indispensables ? Villon est indispensable, alors, je suis désolé, c'est peut-être prétentieux, je ne sais pas, mais j'entre dans la catégorie de ces gens-là.

Pour terminer, avez-vous le sentiment d'avoir réussi ou raté votre vie, puisque vous chantez Rater sa vie ?

"Toute ma vie, j'ai refusé les télévisions, j'ai refusé les tournées, j'ai tout refusé parce que je trouvais ce métier un peu particulier."

Gérard Manset

à franceinfo

À titre personnel, je ne pense pas avoir raté ma vie. Je ne crois pas que dans les 25 albums, il y ait plus de trois phrases que je ne laisserais pas passer, que d'ailleurs, pour certains des titres, j'ai retirées à l'époque. Il y a deux ou trois choses que je trouvais un peu faciles, qui auraient été plutôt à rattacher à des auteurs-compositeurs SACEM et ça, je n'aime pas trop !

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