Guillaume Nicloux marie Michel Houellebecq à Blanche Gardin dans son nouveau film : "C'est la fusion des deux qui crée cette espèce de rapport troublant avec l'instant T"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 14 mars 2024 : Le réalisateur, scénariste et romancier Guillaume Nicloux. Son nouveau film "Dans la peau de Blanche Houellebecq" avec Michel Houellebecq et Blanche Gardin est sorti mercredi.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
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Guillaume Nicloux, réalisateur, scénariste et romancier. (RADIOFRANCE)

Guillaume Nicloux est réalisateur, scénariste et romancier. La piste aux étoiles, son premier long métrage, tourné en 16 mm et en noir et blanc, était annonciateur du parcours emprunté depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui. Son travail est avant tout expérimental. En 1997, il a signé Le Poulpe avec Jean-Pierre Darroussin et Clotilde Courau. Puis il y a eu la trilogie consacrée au film noir avec Une affaire privée (2002), Cette femme-là (2003) et La clef en 2006. Il a tourné L'Enlèvement de Michel Houellebecq en 2014, avec Michel Houellebecq en personne, ou encore Les Confins du monde, avec Gaspard Ulliel en 2017.

Après L'Enlèvement et Thalasso, le dernier volet de sa trilogie satirique sort mercredi 13 mars 2024 : Dans la peau de Blanche Houellebecq. Blanche Gardin est présidente d'un concours de sosies consacré à Michel Houellebecq, auquel le vrai Michel Houellebecq se rend. Évidemment, des événements imprévus vont venir contrarier tout ça, avec une intrigue qui, par moments, n'a ni queue ni tête, mais nous embarque.

franceinfo : Je précise que les deux acteurs principaux, Blanche Gardin et Michel Houellebecq, sont bien les vrais. Comment est né ce film ?

Guillaume Nicloux : C'est un processus particulier, une étrange alchimie entre les désirs de chacun qui convergent à peu près au même moment. C'est essayer de trouver, à un moment donné, l'énergie commune qui nous permet de partir et d'inventer ensemble une histoire avec un socle. Ce socle va nous permettre également d'explorer les parties intimes ensemble, de rebondir sur l'actualité, de mêler d'une façon assez souterraine, avec un maillage particulier, leur intimité et la fiction.

"Ce film propose des ressorts de comédie, mais avec à l'intérieur du sous-texte, des voies un peu parallèles."

Guillaume Nicloux

à franceinfo

Vous avez toujours touché à l'intime dans votre travail. N'est-ce pas le point de départ de cette envie de devenir cinéaste ?

Je crois que j'ai mis beaucoup de temps à accéder à ce désir-là. Je crois que le déclencheur a vraiment été, à la fois L'Enlèvement de Michel Houellebecq qui nous a libérés, qui nous a lancés dans l'autofiction, puisque c'était presque un documentaire camouflé, et puis ce prolongement qui est passé par La Religieuse. Ce film était pour moi sur des terrains beaucoup plus intimes, liés à mon éducation ou à des questionnements à certains moments de mon adolescence. Ce qui m’intéresse, c’est que ce que je vis de façon intime puisse trouver une résonance dans les films. Et inversement, que la nourriture qu'on accumule et qu'on fabrique sur les films puisse aussi se retourner contre soi, pour que ça nourrisse le prochain film, que cela l'annule, que ça crée quelque chose d'organique en fait.

Vous parliez de votre éducation. Comment étiez-vous adolescent et quelle éducation avez-vous reçu ?

J'étais plutôt un enfant assez rebelle. J'ai souffert de phobie scolaire. J'ai quitté l'enseignement traditionnel très tôt. J'avais deux ans de retard en sixième, mais ça, c'était ma nature de ne pas pouvoir en effet rester assis. J'aurais bien aimé par moments… Quand je voyais des amis qui eux étaient passionnés par ce qu'ils apprenaient, moi j'étais un peu effondré. Je désespérais de ne pas pouvoir un jour accéder à ce savoir-là. Et puis petit à petit, j'ai compris qu'on pouvait éventuellement se cultiver soi-même, apprendre avec les autres. C'est un autre chemin.

Dans tous vos films, il y a une forme de contemplation. Quand on filme Michel Houellebecq, le temps est comme suspendu. Il faut rentrer dans son rythme. Vous êtes aussi comme ça, contemplatif ?

Ça m'arrive. Michel a en plus une temporalité à lui, donc il faut s'y adapter, ce qui permet de voir le temps défiler autrement et à une autre vitesse.

Banche Gardin a aussi une temporalité bien à elle !

Également, c'est la fusion des deux qui crée cette espèce de rapport troublant avec l'instant T. Parfois contemplatif, parfois très agité, parfois soumis, en tout cas très réceptif aux climats et aux lieux.

N'avez-vous pas peur de vos propres sentiments et émotions ? J'ai l'impression que vos acteurs vous servent un peu de boucliers.

Sans doute. Mais j'ai souvent peur. De ce que je ne connais pas. J'ai souvent peur de ne pas être totalement connecté à ce qui se passe, et de passer à côté de quelque chose que j'aurais pu mieux montrer, mieux dire. Mais en même temps, c'est la peur qui me motive. Donc c'est paradoxal.

"C'est la curiosité de ne pas savoir ce qui va se passer dans 30 secondes qui me passionne le plus."

Guillaume Nicloux

à franceinfo

Une phrase démarre le film, elle est de Maryse Condé : "Le rire est le premier pas vers la libération. On commence par rire. On rit donc on se libère et donc on peut combattre".

Oui. C'est intéressant, vous citez une autrice indépendantiste, qui justement met en avant quelque chose que Blanche Gardin pratique avec acuité. C'est une façon d'ouvrir le film en effet, en s'accordant le droit à la moquerie, mais d'une façon bienveillante. Il s'agit d'aborder des thèmes qui sont aujourd'hui des marqueurs importants, d'avoir le point de vue de chacun, pour confronter des idées et de surtout débattre. Finalement, le plus intéressant, c'est de débattre même si les gens ne sont pas d'accord.

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