Hippolyte Girardot se raconte dans un récit autobiographique : "J'ai la chance d'avoir un métier qui m'oblige à retrouver l'enfant, l'innocence"
Hippolyte Girardot est acteur, auteur, scénariste et réalisateur. Ses débuts en tant que comédien, il les a effectués aux côtés de réalisateurs et réalisatrices comme Yannick Bellon avec La Femme de Jean (1973), Francis Girod avec Le bon plaisir (1984), Jean-Luc Godard avec Prénom Carmen (1984) ou encore Éric Rochant dans Un monde sans pitié en 1989, considéré encore aujourd'hui comme étant le film de toute une génération et qui lui a offert son premier rôle principal.
Il vient de publier Un film disparaît aux éditions du Seuil. Il se raconte pour la première fois, nous présente sa famille et les amis qui l’accompagnent.
franceinfo : Vous démarrez votre livre par un chapitre intitulé Les Ricochets et cette question : De quoi se souvient-on quand on se souvient ? Ce livre vous montre pour la première fois nu, à vif, les yeux parfois embués. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ce livre ?
Hippolyte Girardot : En fait, c'était une suggestion d'une jeune éditrice qui, quand je lui ai raconté un peu comment j'étais devenu acteur, cette petite histoire qui se passe au cœur du livre qui est la disparition de ce film, m'a dit : "Voilà, c'est là-dessus que tu dois écrire parce que ça, c'est une histoire qu'on ne connaît pas et c'est assez étonnant".
"Pour écrire cette histoire, j'ai été obligé de contextualiser et en remontant les différents chemins, je me suis retrouvé avec ce souvenir, avec mon père qui m'apprend à faire des ricochets et qui en même temps parle du fait de raconter ce qui nous arrive, que c'est important de transmettre notre expérience."
Hippolyte Girardotà franceinfo
Pourquoi ce titre Un film disparaît ? Vous avez animé des ateliers avec des ados trois fois par semaine. Avec eux, vous avez construit des films en Super 8 et notamment un, qui a disparu le jour où il devait être projeté.
Quasiment. Moi, j'étais aux Arts déco, je terminais mes études. D'un seul coup, j'ai commencé à découvrir le cinéma aux Arts déco. En même temps, on m'a proposé ce job d'animateur culturel dans une banlieue parisienne. La banlieue à l'époque, en 1977-78, ce n'est pas du tout comme maintenant donc je ne sais même pas si ça parle aux gens qui n'ont pas connu, mais c'étaient des endroits où il y avait déjà des populations qui étaient repoussées là-bas. On m'y a envoyé comme animateur culturel. J'étais très content de faire ça et je m'amusais beaucoup. Je travaillais avec des écoles, des tout-petits, etc. Mais j'ai surtout rencontré une bande de jeunes Kabyles qui se connaissaient depuis l'enfance et qui m'ont, d'une certaine façon, adopté. J'étais bien avec eux, c'étaient vraiment des frères.
Farid, Ali...
Oui ! Farid qui m'a dit un jour : "On va faire un vrai film". Et il a eu l'idée de se servir de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Il y avait un état d'esprit qui était quand même très nouveau et il disait : "On va raconter avec toi Hippolyte, la chronique de nos vies parce que c'est vrai que c'est très aventureux". Et moi, bien sûr, très naïvement, j'y suis allé et on a fait un long métrage en Super 8. On n'a jamais eu l'argent évidemment pour faire une copie. J'ai fait le montage et un jour, ce film a disparu.
Vous êtes venu le récupérer et là, plus rien !
Le film a été volé, on n'a jamais su par qui. Et à partir de ce trou noir, cette espèce d'explosion atomique qui avait détruit tout un parcours de vie, c'est là où, effectivement, j'ai commencé à devenir un comédien. J'avais des propositions, j'ai tout accepté, j'y suis allé alors que je n'en avais pas spécialement l'intention. Donc ça a quand même changé l'axe dans lequel je travaillais. Le titre, Un film disparaît, c'est parce que, pour moi aussi, il y a quelque chose qui a disparu. Je fais un peu partie de ce titre. C'est un peu "Hippo disparaît", quelque part. Il y a un truc dans le titre que je trouve étonnant moi-même quand je le lis.
Le Chesnay, c'est l'endroit où vous avez grandi, l'endroit où vous avez commencé à vous inventer vos premières histoires. Est-ce que c'est à ce moment-là que vous avez eu envie d'en raconter ou de faire partie des histoires que vous alliez raconter ?
Quand j'étais môme, j'étais ce qu'on appelle un rêveur, comme ça un peu dans mon coin. Et je crois que le fait de vouloir raconter une histoire ou même des petites BD que je faisais quand j'étais petit, etc… Je pense que c'était une façon de dire : voilà, peut-être que je ne dis pas grand-chose, mais en fait j'ai des choses dans la tête. Et petit à petit, c'est venu, cette espèce de confiance.
"Je pense que cette confiance dans la parole, que j'ai encore aujourd'hui, est vachement liée à ma mère. C'était quelqu'un qui inventait un monde."
Hippolyte Girardotà franceinfo
Ma mère était quelqu'un qui était extrêmement bavard, qui racontait beaucoup d'histoires et qui était d'ailleurs aussi une grande menteuse ! C'est quelque chose dont j'ai vraiment hérité d'elle et je pense que quand on est comédien, c'est ça qu'on fait.
Vous dites : "On peut passer sa vie à rechercher l'enfant qu'on a été et ne jamais y arriver". Ça veut dire quoi ?
Ça veut dire qu'on est guidé, même adulte, par l'enfant qu'on était parce que c'est lui qui a emmagasiné toutes les émotions profondes face au monde. C'est lui qui a eu pour la première fois mal, peur. Qui a rigolé pour la première fois, qui a joui pour la première fois, qui a découvert le monde pour la première fois. Et toutes ces premières fois, c'est ce qui s'accumule en vous et qui fait que vous vous êtes constitué de ça et ensuite vous devenez un adulte. Mais l'adulte, il est obligé de se protéger des autres adultes, du monde, etc.
Il y a des choses qu'il oublie, il se blinde parce qu'il n'a pas envie de pleurer pour un oui, pour un non. Il n'a pas envie de rigoler, même pour un oui, pour un non, ce n'est pas vrai ! C'est comme s'il cloîtrait un peu l'enfant qui est en lui. Moi aussi j'ai fait ça, mais j'ai la chance d'avoir un métier qui m'oblige à aller chercher l'enfant, l'innocence, à retrouver quelque chose où je suis fragile. Ce métier m’aide à ça.
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