"J'ai en tête plein d'histoires à écrire complètement farfelues" : Michel Bussi nous emmène enquêter en Guadeloupe
Michel Bussi était, au départ, professeur d'histoire-géographie à l'Université de Rouen, mais rapidement, l'envie d'écrire ses propres histoires a pris le dessus. Il a mis du temps à convaincre. Son premier roman n'a pas été retenu par les maisons d'édition, mais rien ne l'a freiné, ni découragé. Il a bien fait, car ses romans sont aujourd'hui non seulement publiés dans le monde entier, mais ils sont aussi ceux les plus lus et les plus vendus en France.
Aujourd'hui, il publie Les Assassins de l'Aube aux éditions des Presses de la Cité. L'histoire de ce thriller est simple : trois hommes se font harponner en pleine poitrine en Guadeloupe. Rien ne relie ces trois crimes, sauf un homme, un vieillard très mystérieux qui prédit presque l'avenir avec des détails d'une précision vraiment perturbante. En face, un commandant, Valéric Kancel, et ses deux complices bien déterminés à percer les mystères et trouver des motifs et explications en plus du ou des tueurs.
franceinfo : Le personnage principal de votre livre n'est pas Valéric Kancel, mais c'est la Guadeloupe.
Michel Bussi : Oui, c'est vrai que j'ai eu la chance de faire plusieurs séjours en Guadeloupe, dont un juste après le Covid. Je me suis dit : voilà, j'ai le cadre parfait pour cette histoire que j'avais depuis assez longtemps en tête. Je me suis dit : voilà, la Guadeloupe, c'est parfait.
"Il y a eu un mariage entre mon intrigue policière et cette île, la Guadeloupe, qui est fascinante."
Michel Bussià franceinfo
Vous racontez l'histoire des personnages, vous racontez l'histoire des hommes qui sont décédés, vous racontez l'histoire des précurseurs, et en même temps vous nous racontez notre propre histoire.
Oui, c'est vrai que ce roman, je l'ai vraiment voulu comme un pur thriller. J'ai touché un petit peu à des genres différents, même si à chaque fois on est dans le suspense. Là, je voulais faire un vrai thriller avec un tueur en série, avec des policiers qui lui courent après, un jeu de cache-cache permanent dans l'île. Ce thriller est écrit au présent, avec des chapitres très courts, une tension permanente. Je voulais que ça cavale dans tous les sens. Après, l'enjeu, c'est quand même de garder de l'émotion, de garder des beaux personnages et surtout de garder l'histoire et la géographie des lieux. C'était l'équilibre, en tout cas, j'ai essayé de faire qu'on n’ait pas envie de relâcher le livre tout en étant en permanence à la Guadeloupe en soignant les descriptions. Le petit plus, c'est l'histoire de l'île, c'est le passé de l'esclavage.
C'est vrai que quand on regarde une photo, du point de vue, finalement, visuel, on a l'impression que tout est beau, et on se rend compte que l'histoire qui a donné naissance à ces lieux est très lourde par moments. C'est ça que vous vouliez raconter ?
Oui, complètement. Surtout, ce qu'il est très important de retenir, c'est qu'à l'abolition de l'esclavage en 1848, on a dédommagé les grands propriétaires terriens puisqu'ils perdaient leurs esclaves et donc ils ont récupéré l'essentiel de la richesse de l'île, l'essentiel des terres. Les autres avaient la liberté, mais évidemment pas beaucoup d'argent, voire pas du tout. On avait donc une société profondément inégalitaire, peut-être même un des sociétés les plus inégalitaires que le monde ait connues. Et donc, petit à petit, même s'il y a la République française, il faut vivre quand même avec cette structure très inégalitaire au départ. On a effectivement aujourd'hui des émeutes en Martinique, je ne l'espère pas en Guadeloupe demain, mais ces deux îles ont la même histoire. C'est aussi lié au fait que ces inégalités sont encore ressenties. Ce sentiment de ne pas être compris, parfois même d'être méprisé, ou en tout cas d'être utilisé, reste très présent.
"Je n'aime pas trop ce terme de repentance, mais je pense qu'il faut vraiment regarder le passé en face. Si on ne connaît pas le passé et si on ne connaît pas les faits, la vérité, alors on ne peut pas traiter l'actualité."
Michel Bussià franceinfo
Là, on parle d'héritage colonial aussi. Il y a encore beaucoup de douleurs, beaucoup de tabous autour de ce thème. Vous l'abordez frontalement, là, pour le coup. Cela aussi c'est important, d'aller un peu secouer ?
Peut-être qu'en vieillissant, on est plus sensible à l'actualité, on a plus de révolte. Je me sens plus révolté aujourd'hui que je ne l'étais à 20 ans. Dans la libération de la parole publique, il y a des choses que je n'ai pas l'impression qu'on pouvait entendre il y a 30 ans. Je pense que la force de ce roman des Assassins de l'Aube, c'est que des gens qui ont envie de lire un beau roman policier vont l'acheter, alors qu'ils ne seraient pas allés acheter un livre d'histoire de la Guadeloupe sur l'esclavage parce que simplement ils n'en ont pas envie. Ils veulent simplement passer un bon moment avec un roman. Je pense qu'aujourd'hui on est dans un monde qui n'invite pas assez les gens à réfléchir, et on fonctionne beaucoup sur l'émotion, l'émotion immédiate des faits divers. Dans mon roman, ce sont des faits divers, ce sont des meurtres, mais l'avantage du roman, c'est qu'on a 400 pages pour - au-delà du fait divers - parler d'autres choses et faire réfléchir les gens. Ce qui n'est pas toujours le cas pour un fait divers qui est traité médiatiquement uniquement par l'émotion et la réaction épidermique des gens autour.
Quelque 12 millions de livres vendus aujourd'hui. Comment vivez-vous ce succès ?
Je ne vais pas dire que c'est la routine ! Mais maintenant, j'écris mes livres chez moi, tranquille. Je viens faire les médias. J'ai réussi quelque chose avec mes lecteurs, c'est "ne m'imposez rien, je vais vous surprendre", cela me donne une espèce de sérénité totale. J'ai plein d'histoires en tête à écrire complètement farfelues, mais je me dis : voilà, ça y est, maintenant c'est gagné, je pourrais les écrire et les lecteurs, finalement ne m'en voudront pas, même si telle ou telle histoire leur semble plus loin de leurs goûts, leurs centres d'intérêt.
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