"La désinvolture, c'est mon objectif dans la vie", assure l'écrivain Philippe Jaenada

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 6 septembre 2024 : L’écrivain Philippe Jaenada. Il publie : "La désinvolture est une bien belle chose", aux éditions Mialet-Barrault.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 17 min
L'écrivain Philippe Jaenada, le 16 septembre 2021. (DANIEL FOURAY / MAXPPP)

Pour décrire qui est Philippe Jaenada, un seul mot suffit : écriture. Celle qui est innée, habitée, incarnée, vécue, renseignée. Oui, il est un obsédé textuel et il aime bien nous faire l'humour depuis 1997, date à laquelle il a publié Le Chameau sauvage, son premier roman, qui lui a permis de décrocher le prix de Flore. Vingt ans plus tard, cette plume a signé La Serpe avec au bout le prix Femina. Aujourd'hui, il publie : La désinvolture est une bien belle chose aux éditions Mialet-Barrault. L'histoire vraie de Jacqueline Harispe, surnommé Kaki, qui s'est défenestrée à l'âge de 20 ans sur un trottoir derrière le cimetière du Montparnasse.

franceinfo : À partir de ce suicide, de cette disparition et lors d'une virée à Dunkerque, vous avez décidé de retracer, de nous raconter cette histoire assez incroyable, un peu comme un enquêteur. Avez-vous raté votre vocation alors ?

Philippe Jaenada : J'espère que non ! Blague à part, on me dit souvent : "Vous auriez fait un bon policier, un bon avocat, etc." Non, en fait non. Je suis policier amateur, avocat amateur, historien ou journaliste amateur, si on veut. L'ensemble fait écrivain, c'est un peu comme le décathlon c'est-à-dire que ce sont plusieurs disciplines en une, mais je pense que je n'aurais pas pu être un policier ou un avocat remarquable.

Là, où ce livre est très puissant, c'est dans cette capacité que vous avez eue à effectivement raconter pour écarter d'un revers de main les jugements. Elle est décédée en 1953 et vous démarrez à partir de la guerre. Vous racontez les erreurs qu'on peut commettre quand on est trop jeune face à une situation assez exceptionnelle. Et elle, elle a dû subir ça. Elle a dû vivre avec le jugement des autres, avec une vie qu'elle n'avait pas forcément décidée mais qui était une vie pour survivre, tout simplement.

Subir, c'est vraiment le bon mot parce que je me suis rendu compte, en m'intéressant à elle et aux gens qui étaient autour d'elle dans ce petit bistrot de la rue du Four, que c'était une génération très particulière. Ce sont des gens qui sont nés entre 1932, 1935...

"Sans avenir", c'est ce que vous dites.

Oui et surtout, ils n'ont pas eu d'enfance. Ils avaient dix ans pendant l'Occupation. Quand on est bébé sous l'Occupation, on ne se rend compte de rien. Si on a 16, 17 ans, on se rend compte de ce qui se passe et on peut agir. On peut devenir résistant, collabo, ce qu'on veut, mais on peut agir. À dix ans, on se rend compte de tout ce qui se passe et on ne peut rien faire. Tous ces jeunes gens qui sont retrouvés au début des années 50 à 16, 17 ans dans ce bistrot, ont essayé d'y recréer une enfance avec des jeux, l'amour, tout ce qu'ils n'avaient pas eu à dix ans. Ils ont essayé de rester, de vivre cette enfance, à cet âge, on peut encore avoir l'illusion qu'on est un enfant et puis après ça se complique.

Et vous, quelle enfance avez-vous eue ?

"J'ai eu une enfance idyllique. D'ailleurs, parfois, ça m'intrigue." 

Philippe Jaenada

à franceinfo

Je cherche toujours à comprendre ce que vivent les autres. Je voulais savoir pourquoi Kaki était désespérée au point de se jeter par la fenêtre. Il faudrait peut-être que je me pose des questions sur moi parce que je pense que je suis un peu bizarre. J'espère que je suis quelqu'un de sympathique et tout ça, mais je me sens bizarre. Et pourtant, il n'y a aucune raison a priori, ce qui prouve que tout ne s'explique pas. En tout cas, j'espère que dans 70 ans, quelqu'un écrira un livre sur moi et mon enfance.

Ce qui ressort surtout, c'est la capacité que vous avez à vivre les émotions. D'ailleurs, vous racontez que vous avez tenté par moments d'éviter de vous imprégner d'un certain nombre de choses parce que vous craigniez de perdre un peu votre côté juge et partie. Est-ce que cette histoire permet aussi de grandir soi-même ?

Oui. En tout cas, je sais que j'en ressors modifié, plus ou moins transformé. Ça m'apporte... Comme la lecture d'un livre, c'est le même principe. C'est pour ça que j'aime beaucoup la littérature. Grandir, je n'en sais rien, mais en tout cas évoluer, pas forcément dans un sens flamboyant, mais évoluer et continuer ma vie.

Vous êtes tout le temps dans un travail de recherche incroyable. On a l'impression que vous êtes en quête d'une forme de légitimité permanente.

Alors je ne suis pas sûr que ce soit de la légitimité. Déjà, cela m'amuse et ça, c'est un truc d'enfance. Je me souviens quand j'étais petit, dans Pif Gadget, je lisais les enquêtes de l'inspecteur Ludo. C'est un truc vraiment ludique. Et puis l'autre chose, c'est que je me suis rendu compte au fil du temps que la vérité ou la solution, s'il y a une vérité ou une solution, est toujours dans les détails, dans les toutes petites choses. Et à chaque fois c'est pareil, mais presque physiquement, c'est-à-dire qu'un dossier qui peut faire 3000, 4000 pages, il y a toujours des pages au fond, que les gens qui ont travaillé dessus avant moi, n'ont pas eu le temps d'aller chercher ou d'aller décortiquer, etc.

C'est quoi la désinvolture ?

La désinvolture, c'est mon objectif dans la vie. C'est dur d'accéder à la désinvolture. Pendant l'écriture du livre, j'ai fait le tour de France en 24 jours et je me suis senti, pour une des rares fois de ma vie, absolument désinvolte. Je n'avais rien à faire, je n'ai pas de téléphone portable donc personne ne pouvait me joindre, et j'ai vraiment ressenti une forme d'insouciance, de liberté. Alors, ça ne peut durer que 24 jours, on ne pourrait pas vivre tout le temps comme ça, mais voilà, j'aurai connu 24 jours de totale désinvolture dans ma vie. Et pendant ce temps, je parlais de cette histoire qui est sombre, le titre évidemment est un peu au second degré, parce que tous ces jeunes gens et Kaki en particulier n'ont touché la désinvolture que du bout du doigt et très brièvement.

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