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Le monde d'Elodie. Axel Kahn : "Que chaque citoyen accède aux soins, dans le dernier petit village de Lozère comme à la Pitié-Salpêtrière"

Le professeur Axel Kahn, généticien, essayiste, président de la Ligue contre le cancer, juge indispendable une refonte totale du système de santé


Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le professeur de médecine, généticien, spécialiste des questions éthiques, essayiste et président de la Ligue nationale contre le cancer Axel Kahn, à Paris en 2015. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Elodie Suigo : Axel Kahn, médecin, généticien, spécialiste des maladies du sang, vous avez effectué toute votre carrière à l’hôpital public, vous êtes aussi spécialiste des questions d’éthique, ancien membre du comité consultatif national d’éthique et vous présidez depuis un an la Ligue contre le cancer. Vous êtes également essayiste, vous avez publié de nombreux ouvrages scientifiques, philosophiques, éthiques. Vous êtes aussi un homme engagé, marqué à gauche, mais vous vous définissez avant tout comme un humaniste. Ce lundi 25 mai commence une concertation entre le ministre de la Santé et les partenaires sociaux pour réformer l’hôpital. Emmanuel Macron l’a qualifié de "Ségur de la Santé". Dans cette crise, on a entendu des soignants dire qu’il travaillaient sans masque. On a vu des infirmières se fabriquer des sur-blouses avec des sacs poubelle. Quel est votre regard sur ce dénuement ?

Axel Kahn : Ce dénuement est lié à une curieuse sous-considération de ce que représente la santé -le système de santé, les personnels de santé- dans les aspirations de la population. La population considère que la santé est plus importante que tout et que c’est une condition d’accès à ce qui nous tient à cœur. On a considéré la santé comme une importante source de dépenses. Par conséquent, cela a amené à essayer d’économiser et également à sous-considérer la rémunération salariale des personnels de santé. Ça, c’est sans doute ce que les citoyens et les citoyennes du monde ne pourront plus accepter à partir de cette première pandémie virale du XXIe siècle, je crois.

Considérez-vous que le gouvernement a commis des erreurs, voire des fautes ?

À la place qui est la mienne, celle de président de la Ligue nationale contre le cancer, je me garde totalement de toute querelle partisane. C’est absolument interdit. Néanmoins, si vous me poussez dans mes retranchements, oui, il y a eu sans doute, en  France comme dans les autres pays -parce que pratiquement aucun pays n’a fait mieux-... Les Chinois nous avaient avertis de l’extraordinaire sensibilité des personnes âgées. Donc on était au courant que les personnes âgées, pensionnaires des EHPAD, étaient très très menacées. D’ailleurs, la meilleure preuve, c’est que très rapidement, on a interdit les visites de la famille et de l’extérieur. Mais on a rien fait pour détecter, protéger le personnel. Par conséquent, cela a abouti à ce que la moitié de tous les morts qu’il y aura en France sont des personnes âgées vivant en EHPAD. Et si on rajoute les personnes âgées qui seront détectées comme étant décédées en ville, ce sera la grande majorité des victimes de cette pandémie. Et ça, incontestablement, oui, c’est une erreur importante.

Quelles sont les urgences pour réformer la santé ? Nous pensions avoir le meilleur système de santé du monde...

C’est certainement de réformer l’hôpital. Mais on ne peut pas réformer l’hôpital, c’est la totalité du système de soins en France qu’il faut réformer de manière solidaire. Un hôpital hypertrophié et sous-doté, dans un paysage où il y a une véritable implosion de la médecine de ville, de la médecine des territoires oubliés, des déserts médicaux, ce n’est pas gérable ! Par conséquent, ce plan ambitieux doit comporter, selon moi, les étapes suivantes : premièrement, évidemment, l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie -le fameux ONDAM!- qui est  quasiment bloqué à 203 millards d’euros depuis très longtemps doit être augmenté entre 10 et 20 pour cent, c’est indispensable ! Cela doit naturellement servir à doter convenablement les hôpitaux et à augmenter les salaires des personnels -de toute façon, les citoyens l’exigeront-. Mais en même temps, à recréer de toutes pièces un maillage. Alors ce maillage, on ne va pas le faire du jour au lendemain, parce qu’avec le numerus clausus, il n’y a tout simplement plus de médecins ! Et par conséquent, en utilisant la télé-médecine, en mobilisant toute une série d’intervenants soignants, des infirmières, des pharmaciens, etc... en connexion avec des médecins référents et en connexion avec l’hôpital, il faudra essayer de créer un système dans lequel chaque citoyen soit à distance raisonnable d’un référent humain, qui lui-même soit en connexion avec un médecin-traitant, médecin-référent et avec l’hôpital.

Quel est votre vœu le plus cher pour l’hôpital du XXIe siècle ?

C’est qu’il soit un hôpital technique, humain, ouvert, interconnecté, non pas autocentré sur une petite partie d’un territoire, mais vraiment en connexion avec la totalité des territoires de ce pays. Que les hôpitaux soient en quelque sorte comme des plaques tournantes et, pratiquement, qu’on participe de ce système de soins dans le dernier petit village de Lozère comme au CHU de la Pitié-Salpêtrière.

Merci beaucoup Axel Kahn, merci d’avoir été l’invité du monde d’Élodie sur franceinfo !

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