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Jean Nouvel : "L'architecture peut créer d'autres conditions de vie en cas de nouveau confinement et c'est malheureusement probable"

L'architecte de renommée internationale plaide pour de nouveaux logements, plus soucieux du "plaisir de vivre".

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Jean Nouvel et son épouse, à L'Elysée lors de la remise à l'architecte du Prix Pritzker de l'architecture, le 24 mai 2019. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Elodie Suigo : Comment avez-vous vécu cette mise à l'arrêt brutal ?


Jean Nouvel : Comme une mise à la retraite (rires), moi qui ai toujours refusé de prendre ma retraite, je me retrouve à la retraite. C'est amusant parce qu'il y a le paradoxe que l'activité soit concentrée en un lieu, on est obligés de travailler avec d'autres moyens, avec la visio-conférence évidemment, on peut avoir sept-huit personnes en même temps sur la même image. Et là, je suis en fait au milieu de Paris, je suis dans un appartement qui donne sur une cour complètement vide, sans aucun arbre, donc je suis effectivement dans un Paris vide, dans une cour vide, avec des fenêtres vides autour de moi et vraiment, à l'isolement total. Pour ça, c'est une situation un peu métaphysique, assez belle, qui révèle la lumière de Paris, en fait, parce que je ne vois que le ciel et les immeubles de pierre et on voit bien que les nuages qui passent, que les changements de lumière et d'heures marquent Paris.

Vous prenez les choses de manière très philosophique ?

C'est une façon de vivre autre chose, c'est une façon de se mettre en retrait qui permet de penser. de toute façon, en général je travaille beaucoup chez moi et en général je travaille le matin dans mon lit, c'est là où je pense le mieux et puis après je m'en vais. Et là, je suis là 24 heures sur 24, on est quatre enfermés là, il n'y a personne qui rentre. Ma femme va faire quelques courses de temps en temps avec son masque. Il faut dire qu'elle est Chinoise, donc elle a déjà connu un confinement pour le Nouvel an chinois donc je suis entouré de spécialistes (sourire).

Pour un créateur, un architecte qui doit imaginer le monde de demain, cette épreuve est-elle inspirante ou paralysante ? 

Il ramène justement à des prises de position, il ramène à des engagements : je me suis battu souvent et longtemps pour qu'on fasse des logements sociaux plus grands et je pense à ceux qui sont confinés dans des appartements tout petits avec des petites fenêtres. Je pense aussi aux normes thermiques qui font des toutes petites fenêtres, aux gens qui ont des appartements très peu en relation avec l'extérieur. J'espère quand même qu'une expérience comme celle-là peut arriver à faire comprendre un certain nombre de choses et à vivre autrement après.

On pourrait arriver peut-être à une autre prise de conscience populaire du fait que l'architecture peut créer d'autres conditions de vie, qui nous mettraient à l'abri des caricatures qui sont celles d'aujourd'hui avec ces appartements dans des zones urbaines un peu dramatiques, qui avaient été construits pour une vingtaine d'années et qui sont toujours là, ces appartements qui sont invivables dans des conditions comme ça, qui sur le plan sanitaires sont souvent pas formidables. Donc il faudrait anticiper le fait que des situations comme ça sont malheureusement possibles et probables dans les années à venir.


Vous imaginez autrement le monde d'après ?

Oui, je fais en particulier allusion à l'opération Nemausus à Nîmes, où j'ai fait une construction expérimentale dans les années 80, ça avait été livré en même temps que l'Institut du monde arabe en 87, des appartements 30 à 40% plus grands, avec des terrasses en duplex, en triplex dans le même prix et ça, ça a été très mal vu par le mouvement HLM et par les bailleurs sociaux de l'époque, parce que ça montrait qu'on pouvait faire autrement, c'était juste un peu plus compliqué, il fallait un peu d'énergie. Donc je pense qu'il faudrait revenir à des notions du plaisir de vivre, dans la vie et dans les appartements, c'est tout à fait lié, et faire en sorte que les conditions de vie qu'on connaît actuellement ne se retrouvent pas dans des conditions comme celles-là. 


On pense à Notre-Dame de Paris qui a brûlé, pensez-vous que ce qui se passe va changer notre vision de sa reconstruction ? 


Non, je crois que Notre-Dame, c'est un problème patrimonial. C'est très important que le patrimoine continue à vivre, c'est très important qu'on le protège et qu'on garde toutes nos références. Je pense par contre que la dimension patrimoniale doit être conçue aussi comme le fait que le patrimoine est permanent, c'est à dire que le patrimoine, c'est toujours un témoignage d'époque... Ce qu'on construit doit être le patrimoine de demain, c'est à cela qu'il faut penser.

Quelle sera votre première exigence dans ce monde d'après ?

Ce que je voudrais c'est que tout d'un coup on se rende compte que finalement, en termes de démocratie, il n'y a pas que l'économie directe qui compte, il y a tout ce qui vit de la ville, tout ce qui vit de l'architecture, par la conception même du paysage de la ville, de la rencontre de la nature et de l'histoire, de la géographie et de l'histoire... Des périodes comme celle-là nous font comprendre l'importance de cette dimension sensible qu'on a un peu oubliée dans une sorte de course à la rentabilité et qui montre de grandes carences.

 





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