Le professeur Alain Deloche, chirurgien et créateur de la Chaîne de l'espoir : "Ici je soigne, là-bas je sauve"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, le professeur Alain Deloche.
Chirurgien cardiaque, professeur émérite et fondateur de l'association La Chaîne de l'espoir en 1994, Alain Deloche publie "Leur vie, c’est ma vie" aux éditions du Cherche Midi. Les droits d’auteurs sont intégralement reversés à l’association parce que "nous vivons de dons", précise-t-il.
Durant sa carrière, le professeur a opéré à cœur ouvert 20 000 enfants à travers le monde. Dans ce livre, il se raconte, raconte son quotidien, les rencontres, les opérations, les petits miracles qui lui ont d'ailleurs permis de sauver des vies.
Elodie Suigo : On sent que vous êtes très ému de raconter ces histoires de vie.
Professeur Alain Deloche : On ne peut pas oublier ces histoires ! Vous savez en médecine, quand on vous dit "C'est un miracle", on n'accepte pas, on a même un rejet. Le miracle c'est le cumul de compétences, de volonté, de hasards et comme s'il y avait une sorte de destin pour ces enfants. On ne les sauve pas tous, mais ceux-là on est sûrs de les avoir sauvés.
À travers ces regards d'enfants, il y a votre regard d'enfant. A quoi rêviez-vous enfant ?
D'abord j'étais un cancre !
Vous avez raté quatre fois votre bac !
Oui mais il y a plus que ça, le désespoir des parents du cancre professionnel ! Mais j'avais dans mon berceau le docteur Schweitzer : ma grand-mère me racontait ses aventures. En effet, le cancre rêvait et rêvait de faire médecine. D'ailleurs, il disait : "Rêve ta vie".
Il y a surtout cette envie d'aider les autres. Vous avez consacré votre vie d'ailleurs à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.
C'est un vrai choix dont je suis fier et j'aime l'hôpital public. J'y ai passé plus de 40 ans.
Il y a une humanité qui est souvent très méconnue et c'est vrai qu'on soigne celui qui est riche, celui qui est pauvre, celui qui a des papiers, celui qui n'en a pas. Là, on peut parler d'une sorte de vocation. L'hôpital public, c'est une valeur.
Professeur Alain Delocheà franceinfo
On dit souvent : "Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît pas". Quelle est la raison pour laquelle vous avez choisi cette spécialité du coeur ?
Ce sont des rencontres. Moi, j'ai connu l'épopée de la chirurgie à cœur ouvert, c'était vraiment une aventure. Sur mon chemin, il y a eu Alain Carpentier et il m'a dit : "Tu changes d'orientation, tu quittes le digestif et tu viens dans le battant". Et grâce à Bernard Kouchner, autre rencontre, j'en ai rajouté avec Médecins sans frontières. C'était mettre sa compétence au service des plus pauvres. Et je n'ai jamais regretté. J'ai en tête une phrase que je me suis appropriée : "Ici je soigne, là-bas je sauve".
Quand vous créez Médecins sans frontières, le but est de remplir ce fossé béant ?
C'est d'aller là où les autres ne vont pas et de se mettre au service de ces pays de misère. Quand il s'agit de la vie d'un enfant, le fossé est pénible et au fond, ce gosse est né du mauvais côté de la planète. Combler ce fossé, ça peut prendre une vie.
Une histoire vous a beaucoup marqué, c'est celle du petit Christian. On est en 2003, vous exercez à l'hôpital Georges-Pompidou et le Samu vous l’amène dans votre service cardiovasculaire.
Il est arrivé entre la vie et la mort et on l'a sauvé en mettant un cœur artificiel, pas dans la poitrine mais en-dehors. Imaginez la scène, ce petit gosse qui était très beau, un ange qui avait cette espèce de machine à côté de lui qui prenait en charge toute la fonction cardiaque. Et nous, on se disait : "Mais est-ce qu'il va revivre? " Et il a récupéré au bout d'une quinzaine de jours, c'est un miracle technologique.
La mort d'un enfant en salle d'opération ou immédiatement après l'opération, c'est insoutenable. L'angoisse du chirurgien est doublée d'une anxiété qui est : 'Y a-t-il eu erreur ou faute ?' Et ça c'est terrible.
Pr Alain Delocheà franceinfo
Quand on évoque le professeur Deloche, impossible de passer effectivement à côté de cette Chaîne de l'espoir. C'est une usine à gaz que vous avez créée, qui est aujourd'hui devenue incontournable et obligatoire pour maintenir en vie ces enfants. C'est vrai que vous avez œuvré aussi beaucoup pour la construction d'hôpitaux.
C'est le but.
Conakry, ça a été un moment très fort. Kaboul !
Kaboul : miracle, miracle ! C'est vrai que c'est évident que la venue en France de ces enfants, c'était l'acte fondateur, c'était le début du début. Il était évident pour nous qu'il fallait opérer les enfants dans leur pays avec des médecins de leur pays dans les structures bien établies dans leur pays.
Est-ce que l'enfant que vous étiez est fier de l'homme que vous êtes devenu ?
C'est difficile d'être fier. Je citerai mon maître à penser, le père Ceyrac. Il me disait : "En faisant cela, tu sèmes dans l'univers", c'est-à-dire que mon geste technique devient un geste d'amour. La vie d'un enfant est sacrée. J'ai accompli un certain nombre de choses. J'aurais peut-être pu faire plus, on peut toujours s'interroger. Il y a eu pas mal d'échecs mais au bout du bout, j'ai quelque chose à raconter. En tout cas, je me suis donné.
Comment vivez-vous cette retraite?
On n'arrête pas un TGV. Chacun choisit sa retraite. Comme j'étais un enfant hyperactif, je suis un retraité hyperactif.
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