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"Les femmes n'ont pas attendu l'autorisation de naviguer pour larguer les amarres ": Maud Fontenoy retrace le parcours des pionnières de la mer

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la navigatrice et ambassadrice auprès du ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse pour l'éducation à la mer et les classes de mer, Maud Fontenoy. Elle vient de publier "Femmes océanes" aux éditions du Cherche-Midi.
Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Maud Fontenoy sur son monocoque durant une sortie d'entraînement en mer au large des Sables-d'Olonne (Vendée), en mars 2006. (MARCEL MOCHET / ARCHIVES / AFP)

Maud Fontenoy est navigatrice et ancienne femme politique. Elle pratique la rame et la voile. Conférencière, elle est également ambassadrice auprès du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse pour l'éducation à la mer et les classes de mer et présidente de la Maud Fontenoy Foundation. Depuis plus de 20 ans, elle se bat pour la sauvegarde de la planète et des océans et vient de publier Femmes océanes aux éditions du Cherche-Midi.

franceinfo : Ce livre est un hommage aux femmes exploratrices, océanographes, marins, pêcheurs, aventurières, plongeurs de l'extrême.., qui restent encore dans l'ombre et qui ont même été souvent interdites à bord d'un bateau jusqu'aux années 1960. Et pourtant, elles ont contribué à la découverte de ce monde marin. 

Maud Fontenoy : Cet hommage est très, très important. C'est vrai que j'ai pris beaucoup de plaisir à rédiger ce livre parce que c'est à la fois mettre en avant ces femmes qui sont pour moi des héroïnes. On pense à Jeanne Barret, en 1780, qui part en mer en se travestissant en homme et qui va affronter les conditions de vie extrêmement difficiles à bord des bateaux, mais qui continuent à faire son travail, même après avoir été démasquée, alors qu'elle sera en danger sur ce bateau. Bougainville va finalement un peu la prendre sous son aile et on va l'autoriser à porter des armes pour pouvoir se défendre. Elle va faire le tour du monde. Elle va faire son travail de naturaliste de façon exceptionnelle. On ne la met en avant que depuis une cinquantaine d'années à peine. Avant, on ne la connaissait pas.

Toutes ces femmes 'océanes' ont finalement ce point commun qu'elles ont eu ces parcours incroyables sur la mer et qu'elles ont toutes pris conscience qu'il fallait préserver cet univers marin tellement en danger.

Maud Fontenoy

à franceinfo

Je trouve qu'il y avait ce lien fort entre les femmes et puis finalement ce goût de l'aventure, ce goût du dépassement qui les fait partir comme ça sur des bateaux à l'aventure alors que c'était un milieu où elles étaient interdites, voire où elles portaient malheur.

Il y a eu cette espèce de mot passé comme quoi les femmes portaient malheur à bord d'un bateau...

Vous le disiez en introduction, les femmes étaient interdites de bateau. Donc ce n'est qu'en 1963 que les femmes sont officiellement autorisées sur un bateau. Avant, c'était interdit sur les bateaux de pêche, les bateaux de commerce, les bateaux de la marine. C'est finalement très récent que les femmes ont le droit d'aller en mer. Mais ce n'est pas récent qu'elles y vont puisqu'elles n'ont pas attendu l'autorisation pour larguer les amarres.

Quand on a goûté à la mer, on ne peut plus s'en passer ?

C'est vrai que c'est un attachement charnel qu'on a avec l'océan. Ceux qui aiment la mer, ils aiment cette dualité. Ils aiment le fait que ça vous pousse dans vos retranchements. 

Moi, j'adore ne plus voir la côte. Il n'y a pas de faux-semblants et il n'y a pas de deuxième chance.

Maud Fontenoy

à franceinfo

Je trouve que finalement, c'est le lien de toutes ces femmes. Elles aiment ça, elles aiment ce que ça révèle en elle. Elles veulent montrer aussi l'exemple, mais elles ne veulent pas devenir des icônes. Elles font bon an, mal an, modestement, et c'est pour ça que j'ai envie de leur rendre hommage aujourd'hui, parce que ce sont elles qui on fait probablement naître en moi ma passion. Et j'espère qu'elles feront naître chez d'autres femmes, chez d'autres petits garçons aussi, cette passion du grand bleu.

Louise Boyd est considérée comme la fille qui a dompté l'Arctique. Pourtant, aujourd'hui, quand on parle d'exploration, on ne cite que Amundsen ou Charcot. Ça veut dire qu'on a toujours aujourd'hui du mal à reconnaître que les femmes ont pu apporter leur contribution, leur pierre à l'édifice ?

C'est vrai que cette Louise Boyd est la première femme à être allée là-bas. Elle part ensuite sur les traces d'Amundsen pour retrouver son bateau. Elle mène sept expéditions. Elle est parfois même agacée parce qu'on lui demande quand elle rentre, si elle se repoudre le nez quand elle est en mer, si elle porte des pantalons. Chacune d'entre elles raconte, quelles que soient les époques, cette misogynie à travers laquelle elles ont dû passer. Et c'est vrai que finalement, on se dit que c'est difficile quand même de faire sa place et d'être reconnue.

Je voudrais revenir sur une phrase de Marguerite Duras qui est citée dans cet ouvrage. Elle écrivait en 1992 : "S'il n'y avait pas eu ni la mer ni l'amour, personne n'écrirait de livres". Vous êtes d'accord avec ça ?

C'est vrai que ça me met des frissons rien que de l'entendre parce que c'est vrai qu'il y a une telle poésie en mer. Ça nous emmène tellement loin. Il y a ces valeurs de solidarité entre les marins et puis la beauté. Moi, j'ai vu des ciels tellement, tellement, tellement étoilés qu'on a l'impression que les étoiles vont tomber dans la mer. Quand on est au milieu d'un océan, qu'on regarde sa grande carte bleue, qu'on fait sa petite position GPS, qu'on est là en plein milieu, qu'on est sur son tout petit bateau à rames à 20 cm de la surface de l'eau. Oui, ça donne envie de croire dans la capacité de l'homme à réaliser des défis plus grands que lui.

Vous êtes incluse finalement dans cet hommage rendu aux femmes parce que vous faites partie des femmes qui ont apporté leur pierre à l'édifice.

Très modestement. Je ne me suis pas mise dans la lignée.

Non, mais vous êtes quand même la première femme à avoir traversé l'Atlantique Nord à 25 ans, encouragée par un certain Gérard d'Aboville. Vous avez également réalisé l'exploit de traverser l'océan Pacifique sud-ouest en ouest, à la rame et sans assistance. On a toujours besoin de la reconnaissance de nos pairs. Est-ce que vous pensez qu'à travers cet ouvrage et à travers le temps, on va réussir à offrir une reconnaissance de nos mers?

Moi, ça m'a très surprise qu'il y ait autant de femmes qui avaient pris ce chemin, qui avait tracé vraiment des routes et qu'elles soient si peu connues. Et je pense qu'il faut toujours faire ses preuves. En tous les cas, moi, quand je suis arrivée à la rame, et ce qui m'a toujours surprise, c'est qu'on disait : C'est un vrai mec, ce n'est pas une gonzesse, elle en a. Donc, on me ramenait encore une fois au côté masculin, comme si la femme ne pouvait pas avoir cette dualité de force, du dépassement et en même temps cette fragilité, cette maternité qui se voit parfois de haut. Au premier abord.

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