Stéphane Freiss : "Le message de liberté d'expression qu'un professeur doit avoir est en danger"
Stéphane Freiss est un acteur toujours souriant, pétillant, plein de vie, heureux sur scène. Très tôt sur la toile ou sur petit écran, le déclic a eu lieu au cours Florent suivi par le Conservatoire National Supérieur d'art dramatique. Le public l'a découvert en 1987 dans Chouans ! De Philippe de Broca, dans lequel il incarnait Aurèle de Kerfadec qui lui a d'ailleurs valu de recevoir le César du meilleur espoir masculin. Se partageant entre le cinéma et la télévision tout en s’essayant à la réalisation, Stéphane Freiss fait une nouvelle pause au théâtre.
À partir du 24 janvier, il sera le professeur John Keating dans la pièce : Le Cercle des poètes disparus au théâtre Antoine.
franceinfo : Ce rôle de professeur a été immortalisé par Robin Williams dans le film Le Cercle des poètes disparus en 1989. Là, c'est une pièce de théâtre. Est-ce que ce rôle n'est pas déjà un cadeau pour vous ?
Stéphane Freiss : Je vais vous faire une confidence. Je fais partie du cercle très fermé des gens qui n'avaient pas vu le film. Je n'avais donc pas de pression par rapport à l'événement et à cette espèce de chose un peu mythique que porte le film à travers les générations puisque je me rends compte qu'aujourd'hui encore, des jeunes de 20 ans sont accros au film. Je savais que Robin Williams avait marqué le rôle, mais je dois dire que je me suis senti assez libre. On prend certaines libertés et on a un cahier des charges un peu particulier parce qu'on doit aussi essayer de faire comme au cinéma, c'est-à-dire qu'il faut que je fasse en sorte que le public qui me regarde puisse passer de vous à moi. Alors qu'au cinéma, c'est facile, on met la voix off, on est sur un plan de poubelles qui circule et on voit tout le monde et on allège un peu le propos. Le théâtre ce sont essentiellement des mots. Donc on a travaillé sur quelque chose qui a pris une certaine distance par rapport au film, tout en permettant aux fans du film d'être, j'espère, satisfaits.
On est en 1959 dans le Vermont aux États-Unis et on a ce professeur John Keating qui enseigne la littérature anglaise. Il est effectivement très original dans sa façon d'enseigner à ses étudiants dans le fait de tendre vers le carpe diem, le fait de vivre l'instant présent et aussi d'aller chercher cette liberté. Est-ce que c'est d'ailleurs cela qui vous intéresse dans ce métier et dans cette pièce de théâtre ?
Je pense que c'est une chose que nous devrions faire à chaque instant de nos vies. Questionner nos certitudes. Et c'est évident qu'on en a besoin pour avancer parce que sinon on s'écroulerait.
"C'est dans les moments de doute qu'on se construit vraiment, qu'on remet en question ce qu'on croyait acquis et dont on sait que c'est une illusion."
Stéphane Freissà franceinfo
J'adore le message que fait passer cet homme. Il est universel. Il nous dit à chaque instant : "Réveillez-vous. Ne croyez pas que c'est arrivé !" Et c'est juste comme ça que vous permettrez à ceux qui viennent après vous de comprendre quelque chose à la vie.
On est tous touchés par Dominique Bernard et Samuel Paty. Inévitablement, on se rend compte à travers cette œuvre à quel point la place du professeur est essentielle, à quel point un professeur peut aussi changer des vies et permettre à certains enfants, certains adolescents, de se découvrir.
La première raison pour laquelle j'ai choisi de faire ce spectacle, c'est parce que justement le message de liberté d'expression qu'un professeur doit avoir est en danger. Et c'est essentiel aujourd'hui, par le théâtre par exemple, de le faire entendre. Il y a quelque chose qui touche à l'empathie, à l'émotion. Qui n'a pas rêvé d'avoir un John Keating comme professeur ? Est-ce que tout le monde a eu son John Keating ? Je ne suis pas sûr.
Quand vous étiez enfant, il y a eu un moment très difficile, celui de la séparation de vos parents. Vous l'avez mal vécue, vous vous êtes enfermé sur vous-même. Au début, vous avez vécu avec votre maman, ensuite il y a eu ces pensions. Vous avez même fugué. Vous avez aussi été toujours très habité par vos ancêtres car à l'exception de vos grands-parents maternels, ils ont tous été déportés. On a l'impression que votre John Keating, ça a été les Cours Florent. N'est-ce pas aussi ça la vie, d'avoir besoin et d'accepter que les autres nous nourrissent ?
Évidemment, la vie, ce sont des rencontres. Ce que vous dîtes est tout à fait juste. Il y a plein de choses qui ont marqué ma vie et comme je suis un être assez lent à métaboliser ce qui m'arrive... Voilà, j'ai réalisé un film l'année dernière...
Ce film, Tu choisiras la vie, était justement un pied de nez à ça ?
Je comprends avec le temps que ce n'est pas moi qui ai choisi mes personnages, ce sont eux qui m'ont choisi. L'addition de tous ces choix de personnages s'est faite un peu à mon insu, m'a construit dans ce qui m'a donné beaucoup de bonheur jusqu'à présent et certainement un peu de frustration, mais c'est normal parce que ça me renvoie à moi-même. C'est très beau de se servir de la voix de John Keating pour prêcher la bonne parole, mais il faut qu'elle résonne aussi à l'intérieur de moi. Donc oui, c'est pour ça que je le fais. C'est vraiment pour réveiller mon sens critique sur le monde et sur moi. C'est une chance quand même de faire ce métier aujourd'hui dans ces conditions.
Tout est basé sur le fameux carpe diem. Vous autorisez-vous à être heureux aujourd'hui ? Vous avez mis du temps à accepter le bonheur. C'était difficile pour vous par rapport à ce que vos ancêtres avaient vécu. Est-ce qu'aujourd'hui vous acceptez et vous vivez carpe diem ?
"Je constate aussi que beaucoup de choses qui viennent impacter ma vie aujourd'hui parlent de transmission, comme par hasard."
Stéphane Freissà franceinfo
Je ne le sais pas. J'essaye d'être fragilisé par ceux dont je sais que leur intention est juste de m'aider à mieux vivre. J'essaie non seulement de le vivre et j'essaie de le transmettre à mes enfants aussi. Et le film que j'ai fait a été ça, comme ce personnage.
Retrouvez cette interview en vidéo :
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.