Théâtre : "Camus sera d'actualité tant que les hommes auront à mourir", Raphaël Enthoven nous fait redécouvrir la philosophie de l'absurde
Raphaël Enthoven est écrivain, agrégé en philosophie et essayiste. Sa voix est bien connue également sur les ondes. La philosophie l'accompagne depuis son adolescence et lui permet de comprendre le monde en perpétuel mouvement dans lequel nous vivons.
À partir du 4 octobre prochain, il sera sur la scène du Théâtre Libre avec la pièce "Camus par Enthoven.
franceinfo : Est-ce un hommage que vous souhaitiez rendre à Albert Camus pour montrer qu'aujourd'hui encore, le philosophe, journaliste, militant, homme engagé, romancier, dramaturge et prix Nobel de littérature en 1957, est toujours d'actualité de par sa vision du monde ?
Raphaël Enthoven : Non, ce n'était pas mon but. Camus sera d'actualité tant que les hommes auront à mourir, tant que l'humanité sera prise entre une naissance qu'elle a oubliée et une mort qu'elle ignore. La question de l'actualité de Camus ne se pose pas puisque c'est un philosophe qui affronte l'absurde.
"Le sentiment de l'absurde, on y fait face dès qu'on regarde le monde, dès qu'on regarde le réel, dès qu'on pose les yeux sur le monde. Ce qui est difficile avec Camus, ce n'est pas sa pensée. Ce qu'il dit est extrêmement simple, il n'est pas difficile à comprendre, il est difficile à admettre."
Raphaël Enthovenà franceinfo
Et le mettre en scène est une façon plus aisée de faire passer les évidences qu'il formule et qui sont tellement difficiles à entendre.
Quand on regarde bien, Camus était très complet.
Oui. Il n'était jamais opposable à lui-même. Des années 30 aux années 50, il est d'une cohérence absolue parce qu'il n'a jamais essayé d'être cohérent. Il a toujours été fidèle à lui-même. Il a dit : "Nous allons mourir et il faut vivre en fonction de cette information". Que faire de cette information ? Vivre, c'est être béni d'une certaine manière et en même temps, c'est un cauchemar et nous sommes obligés de composer avec ces deux dimensions de l'être. Et quand quelqu'un assume de le dire aussi simplement et fortement que Camus, il est normal qu'il reçoive un écho mondial.
"Camus est un guide, c'est un meilleur ami. C'est le meilleur ami des gens qui ne croient en rien et qui se lèvent quand même. C'est celui chez qui on fait provision d'énergie quand véritablement, il n'y a plus d'espoir."
Raphaël Enthovenà franceinfo
Vous avez rencontré la philosophie très tôt. Vous vous posiez beaucoup de questions, contrairement à vos autres camarades de jeu, sans savoir pourquoi finalement. Est-ce que la philosophie vous a apporté un réconfort ?
J'avais le sentiment quand j'étais plus jeune, quand on est un enfant et qu'on confie à la nuit ses questions, d'être le seul sur terre à me poser les questions que je me posais. Mes parents sont-ils vraiment les miens ? Est-ce qu'il y a une vie après la mort ? Ce genre de questions qu'on croit être seul à se poser. Et j'ai découvert assez rapidement, parce que j'avais des parents qui m'ont mis ça dans les mains, que des morts millénaires se posaient les mêmes questions que moi. À partir de là, vous avez des sentiments mêlés. Le premier réflexe est un peu vaniteux. Il est de vous dire que vous pensez comme Platon. Le deuxième réflexe est beaucoup plus humble et consiste à voir que vous n'avez rien d'original et que ce que vous croyiez être seul à penser, en réalité, il y avait toute une communauté de gens pour le faire. Vous intégrez alors cette communauté dont les morts sont plus nombreux que les vivants, mais ne sont pas moins bavards. C'est une communauté où vous n'êtes plus jamais seul et la philosophie est un antidote à la solitude fondamentale de l'enfant qui se pose des questions dans le silence de la nuit. La philosophie ne répond pas aux questions qu'on se pose, mais accompagne, transforme les questions qu'on se pose en outil de compréhension.
La philosophie dit à l'enfant inquiet en nous que son inquiétude est un trésor, contrairement à ce qu'il pense. Ce n'est pas une galère, c'est un trésor. C'est ça que fait la philosophie. C'est en cela qu'elle est utile à forger des destins.
Raphaël Enthovenà franceinfo
Votre pièce est un tête-à-tête avec Camus et le public. Est-ce aussi une façon de créer un échange ?
Non, c'est juste parce que ça me faisait peur. L'origine de tout ça, c'est la trouille que j'avais de le faire. Désormais, c'est le bonheur que j'ai de le faire, de le répéter et de sentir ce spectacle naître, de répétitions en répétitions, d'efforts en efforts. Je suis dans la position d'une parturiente qui va accoucher dans pas longtemps et en est aux contractions. Je suis partagé entre une sainte terreur et, en même temps, le sentiment qu'à mesure qu'on travaille avec Julie Brochen, sans qui ce spectacle n'existerait pas, la peur cède la place au plaisir.
"Ça me terrifiait d'aller sur scène et en camusien, je me sers de ma peur comme d'une boussole. Je me dis que c'est là qu'il faut que j'aille, puisque c'est là que j'ai peur d'aller."
Raphaël Enthovenà franceinfo
Peur de quoi ?
J'ai peur de la scène. On est sans filet sur scène. Comme j'avais peur des directs quand je faisais de la radio. C'est la raison pour laquelle je m'obligeais à en faire. La peur est un excellent guide. Il faut juste ne pas tourner le dos aux réalités qu'elle nous désigne. J'avais peur de la scène, j'avais peur de l'absence de filet et en réalité, on joue avec ça. Et puis surtout, c'est un spectacle où il ne s'agit pas pour moi de réciter un texte par cœur, mais de le réciter par le cœur. Ce que je raconte, je l'ai suffisamment lu et vécu pour pouvoir en parler et peut-être en changer les termes d'un soir sur l'autre.
J'aimerais juste que vous citiez la phrase avec laquelle vous démarrez le spectacle !
"Le monde est beau, et hors de lui, point de salut !". Il faut savoir que Camus a 20 ans quand il écrit cette phrase et que celle-ci, d'une certaine manière, dit à peu près tout ce qu'il pense. Il n'est de beauté qu'ici-bas, il n’y a de salut qu'ici-bas et s'il faut se battre dans la vie, c'est parce que le salut, c'est l'affaire des vivants.
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