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Zoé Valdés : "Je ne voulais pas obéir, je n'ai jamais voulu obéir"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, c’est l’écrivaine cubaine Zoé Valdés.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'écrivaine Zoé Valdés, en août 2017. (JORGE IGNACIO PEREZ / EFE / MAXPPP)

Zoé Valdés est romancière, poète et scénariste cubaine, exilée en France depuis 1995 juste après la publication de son livre Le néant quotidien, très mal perçu par le régime cubain. Elle est notamment docteur honoris causa de l'Université de Valenciennes et vient de publier un nouveau roman Un amour grec aux éditions Arthaud. Une histoire d'amour sur fond de photos de famille et de violences familiales quotidiennes se déroulant à Cuba.

Elodie Suigo: Vous nous racontez toujours cette île qui vous tient tant à cœur, c'est vraiment le cœur et le poumon de votre vie ?

Zoé Valdés: Oui, c'est l'histoire d'une jeune fille havanaise qui est en train de vivre un changement important dans sa vie et dans son coeur et elle veut évidemment le raconter à ses parents parce qu'elle sait très bien qu'il y a un problème à l'intérieur de la famille. Elle a très peur de révéler ce qui va, de toute façon, transformer sa vie pour toujours.

Cette violence, vous mettez vraiment le doigt dessus. Vous expliquez qu'à Cuba, c'est vraiment quelque chose de courant, de quotidien et qu'en règle générale, c'est suivi d'un silence. On naît avec le silence à Cuba ?

C'est un roman dans lequel les silences sont un protagoniste parce qu'évidemment, il y a des choses qu'on sait très bien, qu'on ne peut pas dire, dont on ne peut pas parler parce que c'est très dangereux, pas seulement pour la personne qui ne peut pas décider par elle-même mais aussi pour sa famille et pour son entourage. C'est très contrôlé surtout par "les organisations" comme on les appelle là-bas, organisations de masses populaires qui contrôlent la vie des gens.

Il y a une grosse caisse de résonance avec votre histoire ?

Il y a quelque chose qui se forme à l'intérieur de vous quand vous êtes un exilé politique qui ne vous permet pas de vous libérer complètement. Dans ce manque de libération, il y a aussi beaucoup d'inspiration et ça c'est apparemment contradictoire, mais je pense que c'est la vertu et la disgrâce de l'écrivain.

Qui est Zoé Valdès? Comment étiez-vous petite fille ?

J'étais quelqu'un qui voulait tout connaître, tout savoir. J'avais par chance trois femmes dans ma vie. Je parle toujours d'elles évidemment parce que ce sont des femmes qui m'ont énormément marquée : ma grand-mère, ma tante, ma mère. Et surtout ma grand-mère, c'était une femme qui a vécu des choses extraordinaires dans sa vie, elle était comédienne et c'était quelqu'un qui avait déjà fait des choses différentes à Cuba et qui m'expliquait toujours ce qu'était la liberté. Donc petite fille, j'étais comme ça, je voulais surtout connaître les choses, savoir ce qu'il y avait à l'intérieur des choses.

L'année où vous naissez, Fidel Castro prend le pouvoir sur l'île de Cuba. On a l'impression que c'est un signe, que dès le départ vous étiez née pour pouvoir dire des choses. Quand vous écrivez ce premier roman Le néant quotidien, vous avez peur ou pas ? Parce inévitablement, quand on le lit, on comprend que le régime cubain ne va pas être d'accord.

J'ai eu peur à un moment mais je n'ai plus jamais eu peur à partir d'autres choses qui se sont passées dans ma vie. Je pense que ça a beaucoup à voir aussi avec l'écriture. L'écriture vous situe dans un monde où vous croyez que vous êtes toujours protégé par les mots, par les sensations, par la mélodie de la phrase. On a de la chance parfois de vivre dans un monde d'imagination, on a la chance de vivre dans ce monde-là. Après, il y a la réalité et la réalité aujourd'hui, oui elle fait peur. J'ai peur plutôt pour les gens d'aujourd'hui, pour les gens qui sont un peu perdus.

Comment avez-vous fait pour partir ? Parce qu'à partir de ce roman, vous allez être considérée comme persona non grata sur votre île.

J'étais invitée par l'École Normale Supérieure en France et par la maison d'édition Actes Sud, qui allait à l'époque publier ce roman. Je ne voulais pas partir, m'exiler mais j'y ai été obligée. A partir du moment où j'ai commencé à donner des entretiens et à raconter ce qui était en train de se passer à Cuba, j'ai eu pas mal de menaces et pas mal de visites chez moi, là où j'habitais, pour m'imposer une certaine obéissance. Et je ne voulais pas obéir, je n'ai jamais voulu obéir.

Encore aujourd'hui, je n'ai pas le droit de refaire mon passeport

Zoé Valdés

à franceinfo

Sans raconter la fin du livre, ça se termine sur une note très importante, celle de la liberté. Vous croyez en cette liberté ? Vous gardez espoir de pouvoir remettre les pieds sur l'île de Cuba ?

Oui je pense qu'un jour j'y retournerai, peut-être pas pour y rester parce que je me suis trouvée dans le monde plusieurs îles. Je me suis trouvée un endroit que j'aime beaucoup, ce pays, la France que je respecte énormément parce qu'elle m'a respectée.  

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