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Ceuta : le Maroc se fâche avec l'Espagne... et toute l'Europe

Retour au calme aux abords de l'enclave espagnole de Ceuta, après l'afflux spectaculaire de migrants en provenance du Maroc ces derniers jours. Sur le plan diplomatique en revanche, les tensions entre Madrid et Rabat sont au plus haut.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Des migrants escaladent une digue dans la ville nordique de Fnideq après avoir tenté de traverser la frontière entre le Maroc et l'enclave nord-africaine espagnole de Ceuta, le 19 mai 2021. (FADEL SENNA / AFP)

Les migrants de Ceuta sont les otages d’un règlement de comptes politique. Le Maroc s'en cache à peine. Car s'il a volontairement assoupli ses contrôles aux frontières, lundi17 mai, pour laisser des milliers de demandeurs d'asile débarquer sur cette enclave espagnole, c'est par représailles. Outré de voir l'Espagne accueillir sur son sol un homme qui est l'un de ses ennemis jurés : Brahim Ghali, 74 ans, le chef du Front Polisario, soigné pour Covid-19 fin avril dans un hôpital de la Rioja, sous une fausse identité.

Depuis 50 ans, le Front Polisario défend par les armes l'autodétermination du Sahara occidental, immense territoire désertique situé entre le Maroc et la Mauritanie, que Rabat contrôle en grande partie mais dont la souveraineté est toujours contestée.

L'Espagne voit rouge

Si Rabat y a vu une trahison, son coup de pression passe très très mal. Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a parlé de "manque de respect". La ministre des Affaires étrangères s'est exprimée et jeudi 20 mai, la ministre de la Défense est encore monté d'un ton, dénonçant à la fois une "agression" et un "chantage" de la part du Maroc. Pas seulement vis à vis de Madrid, mais de toute l'Europe.

Avec Melilla, l'autre enclave située 400 kilomètres plus à l'est sur la côte marocaine, Ceuta est en effet la seule frontière terrestre de l'Union européenne avec l'Afrique.

De son côté, Rabat assume. "La crise durera tant que sa véritable cause ne sera pas résolue", dit le ministre des Affaires étrangères marocain. 

À l'origine de la crise, le Sahara occidental

Le Sahara occidental est le seul territoire du continent africain dont le statut n’est pas encore formalisé (pour l'ONU, il s'agit toujours d'un territoire non autonome, dont la décolonisation n'est pas terminée).

Après le retrait de l'Espagne, puissance coloniale, en 1976, le Maroc s'est imposé. Depuis, c'est la guerre avec les séparatistes du Front Polisario soutenus par l'Algérie (où ils ont installé leur gouvernement, et aussi des camps pour accueillir les réfugiés). Si Rabat est prêt à lui accorder une certaine autonomie, les autorités marocaines ne veulent pas entendre parler d'indépendance. La zone, grande comme la Grande-Bretagne, est faiblement peuplée mais pleine de richesses : réserves de phosphate et zones de pêche.

Le conflit a refait surface en novembre 2020, lorsque le cessez-le-feu conclu entre Rabat et le Front Polisario en 1991 a été brisé. Donald Trump a reconnu la souveraineté marocaine sur la totalité du territoire (en contrepartie de la mise en place de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël). Depuis, Rabat multiplie les pressions pour que d'autres pays, dont l’Espagne, emboîtent le pas. Mais Madrid a averti cette semaine : sa position ne changera pas. Le conflit doit être réglé dans le cadre de l’ONU, avec un référendum d'autodétermination prévu... mais constamment reporté.

Coup de pression sur la politique migratoire

Sauf qu'à trop vouloir se servir de la variante migratoire pour faire pression, le Maroc risque d'être pris à son propre jeu. Parce que les autorités européennes elles aussi se sont crispées. Si Rabat espérait instrumentaliser les réfugiés pour mettre un coup de pression, obtenir plus de fonds en échange de sa maîtrise des flux migratoires – comme le président turc l'a fait en 2016 pour retenir les Syriens sur son sol – c'est raté. D'après le quotidien espagnol El Pais, la Commission européenne a été très claire : si des épisodes de ce genre se reproduisent, Bruxelles n'hésitera pas à remettre en question son aide financière.
Depuis 2007, le Maroc a reçu plus 13 milliards d'euros d'aides par différents canaux. Sur la période 2021-2027, il espère même bénéficier du fonds – important – qui a été budgété pour les pays voisins de l'UE. Il devra peut-être se serrer la ceinture.

Le vice-président de la commission, Margaritis Schinas, n'aime pas non plus le chantage. D'autant qu'il y a deux semaines seulement, Rabat s'est solennellement engagé à collaborer avec l'Europe pour éviter que les flux migratoires augmentent lorsque la pandémie commencera à reculer. 

L'Union européenne durcit le ton

Ce coup de pression arrive au très mauvais moment, en plein débat européen sur le système d'asile et alors que le pacte avec la Turquie est sur le point d'être renouvelé. L'Europe, qui a choisit d'externaliser en partie ses frontières vers des pays comme le Maroc, la Tunisie et la Turquie, ne veut surtout pas voir sa stratégie se retourner contre elle. Trop tard ? "Ce que le Maroc vient de faire, c'est exactement ce que la Turquie et la Libye ont fait avec l'Europe", dit François Gemenne, spécialiste des migrations et professeur à Science Po-Paris. "L'Europe se prend un boomerang du fait qu'elle n'a rien appris de 2015."

Comment sortir de la crise ? Le fait que le Maroc ait accepté de reprendre une grande partie des migrants sur son territoire est un signe de bonne volonté. Rabat entretient avec l'Espagne comme avec l'UE des liens si étroits qu'aucun des trois n'a intérêt à une dégradation durable de leurs relations diplomatiques.

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