Continuer ou non à parler à Vladimir Poutine, ligne de fracture en Europe
Le 31 mai, les européens ont fini par se mettre d'accord : d’ici la fin 2022, ils n’achèteront quasiment plus de pétrole à la Russie, en représailles à la guerre en Ukraine. En revanche sur l'attitude à adopter face au président russe, les 27 sont toujours très divisés.
Faut-il continuer à discuter avec Vladimir Poutine comme s'y obstinent la France, l'Allemagne et l'Italie, garder le lien dans l'espoir de négocier, un jour, la fin de la guerre ? Ou bien au contraire faut-il armer davantage l'Ukraine pour lui permettre de s'imposer sur le plan militaire ? En Europe cette ligne de fracture s'accentue. Emmanuel Macron, principal défenseur de "la diplomatie du téléphone" a passé des heures et des heures au bout du fil avec le président russe. 11 conversations depuis le 24 février, jour de déclenchement de la guerre, et il y en a eu bien d'autres avant.
Mais ces appels récurrents, dont le dernier, samedi 28 mai, en compagnie du Chancelier allemand Olaf Scholz, n'ont pas changé la posture inflexible de Vladimir Poutine.
#UkraineRussiaWar Ls tentatives de médiation entre Moscou et Kiev st au point mort. Ce week-end le pdt Emmanuel Macron et le chancelier @OlafScholz ont eu 1 entretien avec Vladimir Poutine, l’enjoignant d’entamer des “négociations directes sérieuses“ avec Kiev. En vain. pic.twitter.com/ytJ2YOAhjR
— L'Echiquier social (@EchiquierSocial) May 30, 2022
"Si la diplomatie se mesure à la persévérance", écrivait déjà en avril Roger Cohen dans le New York Times, "Macron est un diplomate hors pair, mais si cette diplomatie s’évalue sur le concret, le verdict est moins favorable".
Plus le conflit s'éternise, moins les résultats sont là et plus les européens sont nombreux à critiquer la méthode : arrêtons, disent-ils, de cultiver l’illusion d’un compromis ou de chercher à ménager une porte de sortie à Moscou.
La peur des anciens pays communistes
Les pays qui sont sur cette ligne sont principalement les anciens pays du bloc communiste (à l'exception de la Hongrie qui a l'habitude de jouer les trouble-fête dont le premier ministre Viktor Orban, reste un proche de Vladimir Poutine) ; ces pays qui reprochent à Paris et Berlin d'avoir eu trop d'états d'âme sur les livraisons d'armes et qui craignent – si l'europe ne se montre pas assez ferme – d'être les prochaines victimes des appétits expansionnistes de la Russie.
En Estonie, le Président de la Commission des affaires étrangères du Parlement décrit même Macron et Scholz "en état de mort cérébrale", reprenant la formule du Président français sur l’Otan. En agissant ainsi, "la France et l’Allemagne ouvrent la voie à plus de violence de la part de la Russie".
En Lituanie, un ancien Premier ministre a appelé les Français et les Allemands à imiter les Lituaniens qui, en trois jours et demi seulement, ont réuni dans une collecte de fond cinq millions d'euros pour acheter un drone militaire de pointe pour l’armée ukrainienne, un Byraktar TB2.
It took 3️⃣ days for Lithuanians to collect 5 mln euros to buy #Bayraktar for #Ukraine. Proud to be Lithuanian!
— Andrius Kubilius (@KubiliusA) May 28, 2022
Hope to see Germans and French people to do the same. It’s more important than Scholz and Macron never ending phone calls to Putin! https://t.co/a7INKx5YjJ
Ce geste, selon lui , est "plus important que ces coups de fil sans fin à Poutine !" En Bulgarie, le quotidien indépendant Sega fait le parallèle avec les accords de Munich de 1938, quand la France et le Royaume-Uni, acceptent en échange de la paix, de céder une partie de la Tchécoslovaquie à l’Allemagne nazie, parce qu'Hitler réclame l'auto-détermination des Allemands qui vivent dans les monts sudètes. “C’est exactement ce que craint aujourd'hui l’Ukraine" écrit le journal, repris par Courrier International, qui parle même de "la variole de Munich" : "À la différence de la variole du singe, celle de Munich est bien issue d’une souche européenne et se propage comme une traînée de poudre au sein des leaders européens”.
De fait, le plan de paix proposé à l'ONU il y a dix jours par le chef de la diplomatie italienne proposait un cessez-le-feu et un statut d'autonomie pour la Crimée et le Donbass, ce dont Kiev ne veut pas entendre parler.
Tournés vers Londres et Washington plus que Berlin et Paris
C'est le retour d'un clivage est - ouest au sein de l'union européenne. On l'a vu notamment quand Emmanuel Macron a refusé d’intégrer trop vite l’Ukraine au sein de l’Union : sa proposition a été bien accueillie à l'ouest mais dénoncée par les pays d'Europe de l'Est, qui finalement se sentent plus en phase aujourd'hui avec Londres et Washington, qu’avec Paris et Berlin dont le leadership européen est affaibli.
Au sommet européen de Bruxelles, Volodymyr Zelensky s'est adressé par visioconférence aux dirigeants européens. Il leur a demandé de "montrer leur force", puisque c'est "le seul argument que comprend la Russie". Il les a aussi appelés à mettre un terme à "leurs querelles internes".
I don't think Scholz, Macron, and Draghi want Putin to win, not exactly. But they are afraid of Ukraine winning and the world changing, of becoming less relevant. A new European security structure won't see them as leaders after their appeasement.
— Garry Kasparov (@Kasparov63) May 29, 2022
Un autre homme est sur la même ligne: Gary Kasparov. L'ancien champion d'échecs et opposant russe réfugié aux États-Unis ne se prive pas non plus de pointer du doigt les divergences européennes. L'"union, dit-il, ne défend pas ses valeurs". "Une guerre pour la vie et la liberté n'a pas de place pour des accords amicaux avec des dictateurs agresseurs".
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