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Coup d'Etat en Birmanie : Aung San Suu Kyi renversée par les militaires

Le président birman et la chef du gouvernement, l'ancienne opposante Aung San Suu Kyi, ont été arrêtés à l'aube ce 1er février. Dans un calme presque étonnant, les militaires ont intégralement repris le pouvoir - qu'ils partageaient jusqu'ici avec les civils.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Des militaires bloquent une route près du Parlement à Myanmar, en Birmanie, le 1er février 2021, après leur coup d'Etat (STRINGER / ANADOLU AGENCY)

A Rangoon, dans la nuit, des camions militaires se sont postés devant l'hôtel de ville et différents bâtiments officiels pour en interdire l'entrée. L'accès à l'aéroport international a été bloqué, les liaisons téléphoniques et internet sont toujours très perturbées. Et toutes les banques ont baissé le rideau. Très tôt en lundi 1er février, plusieurs dirigeants ont été arrêtés, dont le président birman (qui a un rôle honorifique) et Aung San Suu Kyi, l'ancienne prix Nobel de la Paix, 75 ans, qui depuis cinq ans remplit les fonctions de Première ministre.

J'ai peur. L'armée cible les journalistes et les activistes. On doit échapper à cette traque.

une militante des droits de l'homme en Birmanie

à franceinfo

De vastes coups de filet ont également eu lieu dans les milieux activistes. Sarah Bakaloglu, ex-correspondante de Franceinfo en Birmanie, a joint ce lundi matin une militante des droits de l'homme qui était observatrice lors du scrutin de novembre 2020 : "J'ai peur, dit-elle, je vois beaucoup de forces de police dans la rue. J’essaie de fuir, et les autres militants font comme moi, car l’armée cible les journalistes et les activistes. On doit échapper à cette traque, il faut faire attention à nous."

Des généraux à tous les postes

Sur NAME, la chaîne de télévision de l'armée, le présentateur lit une déclaration expliquant que pour préserver la "stabilité" de l'État, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont désormais entre les mains du général Min Aung Hlaing, chef des armées. 

Un autre général est désigné président, l'état d'urgence déclaré pour un an avant de nouvelles élections générales "libres et équitables". "Nous mettrons en place une véritable démocratie multipartite", déclarent les militaires dans un communiqué publié sur leur page Facebook.

Comment y croire et ne pas trembler pour l'avenir à court terme du pays ? "J’ai tellement peur que la jeune génération se dise que l’armée birmane est l’institution la plus puissante de notre pays (...) et que les militaires, en particulier les officiers les plus jeunes, se disent qu’ils sont les plus forts, qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent", craint un opposant interrogé par Sarah Bakaloglou. "Ce n’est pas bon pour le futur de la Birmanie (...) et cela va être un obstacle pour le chemin vers la démocratie", poursuit-il.

17% pour l'armée aux élections

Ce sont les élections législatives de novembre 2020, organisées en pleine pandémie de coronavirus, qui ont fait office de déclencheur. Le parti d'Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie, a fait un triomphe : elle a emporté 82% des sièges de députés (encore plus qu'en 2015), pour ce qui était le deuxième scrutin libre depuis la fin de la dictature en 2011. Le parti affilié à l’armée s'est lui retrouvé complètement laminé (33 sièges seulement). Une véritable humiliation pour les généraux qui n'ont cessé de dénoncer des fraudes et demandé le recomptage de tous les bulletins. L’armée affirme avoir recensé au moins 8,6 millions de cas de fraude, dont des milliers d’électeurs centenaires ou mineurs. La Commission électorale a récusé ces accusations, jeudi 28 janvier, assurant que le scrutin avait été "libre, juste et crédible" et avait reflété "la volonté du peuple".

Malgré la dissolution de la junte en 2011, l'armée a gardé beaucoup de pouvoir en Birmanie, réussissant à instaurer un régime hybride, ni autocratique ni démocratique. Avec certes un gouvernement civil dirigé par Aung San Suu Kyi, mais un vice-président issu des rangs de l'armée et trois militaires à des ministères clé, les plus puissants (intérieur, défense et gestion des frontières). La gouvernance quotidienne était un exercice de funambule, contraignant ASSK à s'aligner sur les militaires malgré des relations devenues de plus en plus exécrables. On l'a vu sur la question des Rohingyas : malgré les accusations de génocide, la dirigeante n'a jamais condamné les massacres contre la minorité musulmane, allant même jusqu’à défendre en personne son pays devant la Cour internationale de justice à La Haye. Ce qui lui a valu de perdre beaucoup de crédit sur la scène internationale. En 2017 des centaines de milliers de Rohingyas ont fui les exactions de l'armée et se sont réfugiés au Bangladesh voisin.

Et maintenant ?

Aung San Suu Kyi, l'ancienne opposante restée 15 ans en résidence surveillée après son retour au pays en 1988, incarne toujours la figure de l'opposition face à la dictature militaire. Critiquée à l'étranger, l'ex "dame de Rangoon" est toujours adulée par une grande majorité de Birmans, alors que l'armée, qui a dirigé le pays pendant 50 ans fait l'objet d'une méfiance - pour ne pas dire d'une haine - tenace. On voit mal ce que les militaires auraient à gagner à reprendre le contrôle dans un tel climat, à faire de l'icône de la démocratie une martyre nationale. Le pays renoue avec une tradition : c'est le troisième coup d'Etat depuis que le pays s'est séparé de l'Empire britannique pour prendre son indépendance en 1948 - un pays qui n'a depuis connu que trois présidents civils.

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