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Etats-Unis : bataille pour le contrôle de la Cour suprême avant la présidentielle

À quelques semaines de la présidentielle, la disparition de la doyenne de la Cour suprême provoque une véritable tempête politique. Aux États-Unis, démocrates et républicains se déchirent sur le remplacement de Ruth Bader Ginsburg, 87 ans, morte vendredi des suites d'un cancer.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
La Cour suprême des Etats-Unis, à Washington (USA). (ALEX EDELMAN / AFP)

L'enjeu est considérable : le parti qui placera son (ou sa) candidate dans le siège désormais vide de la féministe Ruth Bader Ginsburg fera fortement pencher pour quelques décennies l'Amérique vers le camps des progressistes ou a contrario vers celui des conservateurs.

La plus haute instance judiciaire américaine, dont les juges sont nommés à vie, tranche en effet des questions de société essentielles comme l'avortement, le port d'armes, les droits des homosexuels ou les libertés religieuses. Dans les mois à venir, elle doit aussi se prononcer sur l'avenir de la réforme de l'assurance santé dite Obamacare, qui a étendu les couvertures maladies de millions d'Américains mais que les républicains veulent démanteler.

Tout est une question de calendrier : pour courtiser sa base, galvaniser son électorat, le président américain veut pousser l'avantage et faire nommer avant la présidentielle du 3 novembre une personnalité conservatrice en lieu et place de Ruth Bader Ginsburg. La procédure doit être menée  "sans délai" a-t-il dit, moins de 24 heures après la disparition de la juge emblématique.

Donald Trump a déjà nommé deux juges à la Cour suprême au cours de son mandat. En placer un(e) troisième lui permettrait de garder la main sur une institution de plus en plus politisée. Il ne s’est pas caché non plus d'en faire un argument électoral : il devrait en effet choisir une femme, alors que les intentions de vote de l’électorat féminin se portent majoritairement sur Joe Biden.

Quelques jours avant de s’éteindre, la doyenne des juges avait pourtant confié à sa famille son souhait "le plus fervent" : ne pas être remplacée avant que le futur président des États-Unis ait pris ses fonctions à la Maison Blanche, le 20 janvier 2021.

Quand Donald Trump se décidera pour un nom et fera connaître son choix, ce sera au Sénat d'entrer en scène pour auditionner et confirmer le candidat.

Un abus de pouvoir

Une telle précipitation est-elle indécente ? Formellement, le président américain n'outrepasse pas son rôle et les démocrates n'ont pas beaucoup d'armes juridiques pour empêcher cette nomination.

Mais pour Joe Biden, ce n'est rien d'autre qu'"un exercice de pouvoir politique brutal", "un abus de pouvoir" qui risque de plonger les Etats-Unis "dans une crise constitutionnelle". Le candidat démocrate demande aux sénateurs de ne pas voter "avant que les Américains aient choisi leur nouveau président" et déclare que si c’est à lui de choisir un nouveau juge à la Cour suprême, il aimerait choisir une femme afro-américaine – ce serait une première.

Un précédent en 2016

Tout le monde a en mémoire le précédent de 2016, quand un juge (conservateur) de la Cour, Antonin Scalia, était mort huit mois avant l'élection. Barack Obama n’avait pas pu le remplacer : le patron des républicains au Sénat, Mitch McConnell, avait refusé d'organiser un vote, au prétexte que le scrutin était "trop proche".
Or aujourd'hui, ce même Mitch McConnell (surnommé "Dark Vador" pour ses ennemis), allié indéfectible de Donald Trump, s'est empressé de dire qu'un vote aurait lieu. "On dirait que le sénateur McConnell a perdu sa foi dans le jugement des Américains", a critiqué l'ancien président démocrate Bill Clinton sur CNN, dénonçant son "hypocrisie".

Tout se joue au Sénat

La précipitation du président Trump suscite beaucoup de réserves chez les républicains modérés. "(Par rapport à 2016) nous sommes encore plus proches de l'élection de 2020 – à moins de deux mois – et je pense que la même norme doit s'appliquer", a déclaré la sénatrice républicaine Lisa Murkowski. "Par honnêteté envers le peuple américain", une autre sénatrice modérée, Susan Collins, estimait dès samedi qu'il faudrait "attendre" le verdict des urnes avant de pourvoir le siège vacant. On attend aussi de connaître la position de Mitt Romney, le plus fervent opposant de Donald Trump au sein du parti.

La bataille pour convaincre les sénateurs républicains susceptibles de faire pivots s'annonce féroce. Or il suffirait de quelques désistements pour retarder le vote et faire échouer le plan de Donald Trump: les républicains ne disposent que d'une courte majorité au Sénat : 53 élus contre 47 pour les démocrates. Des sénateurs sous pression à titre personnel : ils remettent aussi leur siège en jeu le 3 novembre.

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