Guerre en Ukraine : en Russie, des criminels enrôlés qui reviennent du front graciés terrorisent la population

Les anciens prisonniers et criminels russes, de retour à la vie civile après avoir combattu sur le front ukrainien, sont protégés par les autorités. Mais ils participent à la hausse de la violence dans le pays.
Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Au début de la guerre, la milice Wagner a été la première à recruter dans les prisons. (Capture d'écran X)

Participer à la guerre permet-il vraiment de racheter ses crimes ? Parmi les prisonniers enrôlés par la Russie pour combattre en Ukraine, on trouve Sergueï Khadjikourbanov. Ancien policier des forces spéciales, il a été impliqué dans l’assassinat de la journaliste d'investigation Anna Politkovskaïa - le 7 octobre 2006. Condamné par la justice pour un des meurtres les plus retentissants de l'ère Poutine (commis le jour de son anniversaire du président). Sergueï Khadjikourbanov aurait dû rester en prison jusqu'en 2030.

Mais l'an dernier, il a été recruté pour aller combattre en Ukraine et quand son contrat s'est terminé, il a été gracié par le président russe. Il est de nouveau libre comme l'air. Son avocat l'a annoncé mardi 14 novembre. La nouvelle a fait l'effet d'une gifle. "Une injustice monstrueuse et arbitraire", dénonce la famille de la journaliste.

Le recrutement dans les prisons lancé par Wagner

Cet exemple n'en est qu'un parmi des milliers d'autres, car au début de la guerre, la milice Wagner recrute de la "chair à canon" dans les prisons. Le contrat est clair : après six mois sur le front, un retour à la vie civile est possible - il suffit de survivre.

En septembre 2022, puis en janvier 2023, au moins trois vidéos montrent Evgueni Prigojine, le chef de Wagner, en train de recruter des prisonniers. Sur l'une d'elles, il est dans une colonie pénitentiaire, 800 km à l'est de Moscou : "Nous recrutons à partir de 22 ans, dit-il. Il est essentiel d'être en bonne forme physique (...) Nous recherchons uniquement des combattants pour les troupes d'assaut. (...) Au bout de six mois, vous pourrez rentrer chez vous. Ceux qui veulent pourront rester avec nous. Mais le retour en prison n'est pas une option. (...) Vous connaissez quelqu'un d'autre qui peut vous faire sortir d'ici dans de telles conditions ? Il n'y a que deux personnes qui en sont capables. Moi et Dieu. Et moi... je vous prends vivant".

Il semble que cette pratique se soit arrêtée en février 2023, faute de volontaires : les rumeurs sur la dureté des conditions de combat en Ukraine et sur la mortalité très élevée des mercenaires de Wagner étant arrivées jusque dans les prisons russes.

Mais les autorités russes reprennent à leur compte - de manière tout à fait officielle - ce principe de remise en liberté en échange d'une mobilisation. Interrogé sur le sujet vendredi 10 novembre, Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine, l'assumait encore : "Les condamnés, y compris pour des crimes graves, expient leur crime sur le champ de bataille."

Entre 50 000 et 100 000 prisonniers enrôlés

Combien d'assassins, de meurtriers, de violeurs, de criminels ont-ils ainsi été enrôlés ? Entre 40 et 50 000 selon le média russe indépendant Meduza. 100 000 selon Olga Romanova, une ancienne journaliste exilée qui milite pour les droits des prisonniers et des militants de l’opposition en Russie. Le Kremlin, de son côté, jamais donné de chiffre officiel.

Beaucoup bien sûr sont morts. En janvier 2023, Meduza expliquait que plus de 80 % de ces anciens prisonniers étaient morts, blessés ou portés disparus et qu'il n'en resterait que 10 000 sur le terrain. En mars, "plus de 5 000 ont été libérés à la suite d’une grâce après la fin de leur contrat avec Wagner", annonçait Evgueni Prigojine dans un message diffusé sur Telegram.

Des hommes revenus à la vie civile, leur solde en poche et leur patriotisme en bandoulière, traumatisés par la guerre mais protégés par leur grâce présidentielle ou simplement par la loi qui interdit de "discréditer toute personne participant à l’opération militaire spéciale".

Les anciens criminels restent des criminels

Les conséquences sont parfois dramatiques. Fin mars, dans la région de Kirov, 600 km à l’est de Moscou, une retraitée de 85 ans est tuée par un Ivan Rossomakhin, 28 ans, revenu du front, un ex-prisonnier condamné avant la guerre à 10 ans de prison. À son retour, les habitants de son village, terrorisés, s'étaient mobilisés - sans succès - pour obtenir son éloignement. Les exemples de ce type sont nombreux, en général rapportés par la presse locale.

Le 9 novembre, un autre média indépendant en exil, Aguentstvo, a documenté 17 cas de meurtriers rentrés en Russie et graciés par le Kremlin. Le journal Le Monde, qui a épluché chacune de leurs histoires, raconte qu'il y est question "de jeunes filles violées puis tuées, de psychopathes, d’alcooliques à la dérive, d'assassinats d'enfants, de corps brûlés, décapités ou jetés à la rivière". Au moins trois d'entre eux ont recommencé à tuer depuis leur retour d’Ukraine, dans des circonstances souvent tout aussi barbares.

De manière globale, le retour des anciens prisonniers entraîne une montée inédite de la violence dans la société russe. Violence sur laquelle il n'existe aucune statistique officielle.

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