Liban : la France délivre un mandat d'arrêt international contre Riad Salamé, le puissant gouverneur de la Banque centrale
C'est une étape majeure dans la descente aux enfers de celui qu'on appelle "le Madoff libanais".
Mardi 16 mai, Riad Salamé a refusé de se présenter à un interrogatoire au tribunal judiciaire de Paris. À quatre reprises, quatre jours de suite, la semaine dernière, des policiers libanais s'étaient pourtant rendus au siège de la Banque à Beyrouth pour lui délivrer sa convocation : sans succès. La juge d'instruction française, a donc choisi la manière forte en délivrant un mandat d'arrêt.
Riad Salamé, 72 ans aujourd'hui, est soupçonné de s'être enrichi de manière illicite, de s'être créé un patrimoine immobilier et bancaire colossal de plus de deux milliards de dollars, réparti en Europe et dans des paradis fiscaux.
Des enquêtes dans six pays
A Paris, en juillet 2021, le Parquet national financier a ouvert une information judiciaire pour blanchiment en bande organisée. Au moins six autres pays européens ont également Riad Salamé dans leur viseur. La Suisse, par exemple, le soupçonne d'avoir détourné plus de 330 millions de dollars de commissions sur la vente de titres financiers de la Banque centrale libanaise. L'an dernier, la France, l'Allemagne et le Luxembourg ont gelé une partie de ses avoirs.
Et pourtant, il est toujours en poste. Riad Salamé réfute toutes les accusations dont il fait l'objet ; il conteste pied à pied chaque décision judiciaire. Cela fait trente ans qu'il est à la tête de la Banque centrale libanaise, il y a été placé en 1993 par Rafik Hariri. Pendant longtemps, on l'a présenté comme un génie de la finance, un visionnaire. Il a surtout distribué à tour de bras des prêts et des crédits et laissé l'Etat s'endetter jusqu'au cou pour financer la reconstruction du pays, qui sortait de 15 ans de guerre civile... Il est quasiment devenu intouchable.
Sa popularité s'est effondrée
Mais quand la roue commence à tourner après 2010, quand l'économie libanaise dévisse, il apparaît comme l'une des pièces centrales de cette déroute. L'exemple absolu du responsable indéboulonnable et corrompu qui cristallise la colère des Libanais. À partir de 2019, année du soulèvement, sa popularité s’est d'ailleurs effondrée à peu près au même rythme que la livre libanaise - qui a perdu plus de 80 % de sa valeur. Son frère, son ex compagne, son fils et sa collaboratrice sont eux aussi mis en cause. Mais Riad Salamé reste droit dans ses bottes : il a déjà annoncé qu'il allait contester son mandat d'arrêt.
"La large dérobade de Salamé est à la mesure de son cynisme et de son refus d’assumer toute responsabilité (...). Un jour ou l’autre, il sera arrêté", affirme William Bourdon, l'avocat de l’association Sherpa et du Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban (CPVCL), parties civiles. L’avocat met aussi cause "une obstruction systématique de certains magistrats libanais, en contradiction totale avec leurs obligations vis-à-vis de la France".
Au Liban, où justice et intérêts politiques sont souvent étroitement liés, la suite qui sera donnée à la mise en cause judiciaire de Riad Salamé permettra aussi de juger de la solidité de l'appareil judiciaire de Beyrouth.
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