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Cinéma : les forçats des effets spéciaux

Les effets spéciaux au cinéma, une industrie que l'on imagine florissante. Ce n'est pas du tout le cas. La dernière cérémonie des Oscars couronnait les effets spéciaux de L'Odyssée de Pi, le film d'Ang Lee. Un trophée remis dans un contexte étrange. Plongée dans le monde de ceux qui rendent l'impossible possible sur nos écrans.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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L'Odyssé de Pi , sans effets spéciaux, c'est un enfant avec un chat en peluche sur une barque dans une piscine. Après post-production, c'est l'histoire d'un bateau qui chavire dans une tempête incroyable et l'extraordinaire aventure d'un enfant qui se retrouve en plein océan en compagnie d'un tigre.

Parmi les oscarisés, un Français, Guillaume Rocheron : "Aucun plan n'a été tourné dans l'océan. Nous étions à Taïwan dans une piscine entourée de fonds bleus. Sans effet spécial, il est impossible de raconter cette histoire ."
La firme qui a réalisé l'essentiel des effets spéciaux de ce film a elle aussi reçu cet Oscar. Mais dans le même temps, elle faisait faillite et licenciait à tour de bras. Lorsque le problème a été évoqué sur scène, le micro a été coupé au milieu des rires de la salle (voir la vidéo ci-dessous).

Mieux, plus vite et moins cher

Le problème, c'est la réduction des coûts demandée par les producteurs. Toujours mieux, toujours plus vite et toujours moins cher : c'est ce que l'on exige de ces professionnels. Même pour les superproductions où les effets spéciaux sont omniprésents. Même pour les blockbusters qui génèrent des dizaines de millions de bénéfice.
Et les studios font jouer la concurrence au niveau mondial alors que les règles ne sont pas les mêmes partout. La faute aux exonérations fiscales : certains pays veulent attirer cette industrie, à coups de cadeaux financiers aux productions. La France le fait mais certains font encore plus fort. Il y a eu la Grande Bretagne, la Belgique et l'eldorado actuellement, c'est le Canada

Pierre Buffin le sait bien. Il a fondé BUF en 1984, c'est un dinosaure du secteur. Il a travaillé sur trois Batman mais le quatrième lui a échappé, ses concurrents Anglais étaient moins chers. Alors il a créé Buf Belgique l'an dernier et Buf Canada cette année : "Les producteurs vous incitent à créer des sociétés au Canada, cela leur permet de récupérer des crédits d'impôts. Au Canada, il est deux fois plus important qu'en France. J'ai résisté longtemps et puis j'ai fini par céder ."
BUF emploie actuellement une centaine de salariés dont la moitié en CDI. Mais l'entreprise a compté jusqu'à 400 personnes il y a quelques années. Les employés sont pour la plupart des intermittents du spectacle.

Un métier de passionnés

Cette industrie n'échappe pas à la règle. C'est un métier de passionnés, jurent tous les professionnels. Julien Aulas travaille à BUF.
Il a notamment supervisé 1 minute 30 de L 'Odyssée de Pi . Une scène d'animation qui a nécessité six mois de travail : "Si le projet nous tient à cœur, on a envie de sortir de belles images. C'est plaisant d'entendre les gens dire qu'ils ont voyagé avec le film. C'est ce qui nous motive pour travailler les week-ends, faire de grosses journée ou prendre un peu moins de vacances ."

Les heures supplémentaires font enfler le budget alors que les devis sont déjà faits. Les patrons n'aiment pas cela. "En fin de production, les salariés peuvent travailler trois mois, 7 jours sur 7, 16 heures par jour", affirme Yoan Blanc ancien directeur pédagogique d'une école de formation aux effets spéciaux. "Le fond du problème, il est là : dans ces conditions de travail inacceptables ."

Budgets serrés et délais brefs

Et les clients ne se rendent généralement pas compte du travail effectué. Il y a quelque chose d'opaque et de magique dans les effets spéciaux : En quelques clics, ils font des merveilles. Une citrouille transformée en carrosse, une cucurbitacée en baguette magique.
Julien Villanueva a créé Circus, sa société, il y a moins de cinq ans avec un ami. Après avoir travaillé sur d'énormes projets comme Matrix .
Il dirige maintenant une petite structure d'une vingtaine de salariés. Ils font surtout des publicités : "On est serrés sur les budgets et sur le temps alors que l'on sait très bien que pour faire de belles réalisations, il faut du temps et donc de l'argent. On nous commande des choses d'un mois à l'autre. C'est rare d'avoir une visibilité de plus de deux ou trois mois ."

. Les images de film avant effets spéciaux fleurissent sur les réseaux sociaux. Captain America ou Ironman y sont complètement ridicules. Pour montrer l'importance de la post-production.

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