Clichy-sous-Bois à l'heure du vote
Un joli duplex lumineux avec quatre chambres, un grand séjour, une
grande cuisine, un beau balcon. En quittant son 14e étage de la cité
du Bois du temple, Myriam et sa famille le disent : "Nous avons gagné au
change" . "Le bâtiment était sale, il y avait des tags. Maintenant
c'est propre. Rien à voir" , reconnaît la jeune femme.
"Quand je me
penche par la fenêtre, je ne vois plus d'ordures qui trainent, mais un
jardin."
En déménageant, Myriam a gagné une vue plus dégagée. Mais
elle n'en dit pas autant de son avenir. Elle vit à une rue de son ancien
appartement. Ses problèmes, eux, n'ont pas vraiment changé. "Vous
prenez des personnes pour les déplacer
autre part. Cela ne change rien. Regardez, je suis en terminale. L'an prochain,
je serai en BTS ou en fac. Cela sera très certainement sur Paris. Les
transports sont catastrophiques. Je devrai me lever deux heures plus tôt que
les autres. Je rentrerai deux heures plus tard" , craint la future
étudiante. Elle redoute déjà d'être
tentée d'abandonner.
A Clichy-sous-Bois, la moitié de la population a moins de 25
ans. Le taux de chômage dépasse largement les 20%. Depuis 2 ans, Nawfel
s'accroche pour suivre son cursus en sciences politiques à l'université de
Paris 8, à Saint-Denis. Lui aussi a bénéficié de la rénovation urbaine. Son
bâtiment a été entièrement sécurisé, et refait à neuf. Mais pour le jeune
homme, les politiques doivent aller plus loin. Selon lui, le vrai problème,
c'est l'emploi "sinon, les jeunes continueront de trainer en bas de immeubles,
et finiront par les dégrade" .
Membres de l'association AC le Feu, Myriam et Nawfel ont
suivi la campagne électorale. Dimanche, ils iront voter. C'est la première fois
qu'ils participent à une élection présidentielle. Pourtant, ils traînent des
pieds. Aucun candidat n'a su susciter leur enthousiasme. Nawfel regrette :
"Il n'y a eu que
des coups de communication pour faire le buzz. En ce qui concerne la banlieue, je n'ai rien vu venir."
A Clichy-sous-bois, 3.500 logements ont été rénovés, ou sont
en cours de rénovation. C'est l'un des plus grands programmes de France. Trois milles cinq cent logements, cela ne représente toutefois qu'un tiers des logements de la ville.
Et ils se concentrent dans un seul secteur, désigné comme le "haut
Clichy". Paradoxe, au lieu de
susciter l'envie, ou l'espoir, la rénovation urbaine accentue parfois le
sentiment des habitants des autres quartiers d'être exclus.
Eric tient un garage dans la zone pavillonnaire. Il a 52 ans,
est un clichois "pur sucre" . Il est né ici. Son père est né ici. Il
vit ici depuis toujours. Il espère bien sûr que sa ville réussira à se
débarrasser des tours et des barres devenues symboles du pire de la banlieue.
Mais il se sent parfois un peu découragé :
"Quand les hommes politiques
parlent de la banlieue, ils ne parlent que des grands ensembles, jamais des
zones pavillonnaires."
"Ce sont pourtant des lieux
de vie, d'emploi. Tout le monde parle de la barre qu'il faut rénover, pour
laquelle il faut payer, afin de lui donner un coup de peinture. Pendant ce
temps là, nous, on va bientôt nous expliquer qu'il faut acheter nous-mêmes le
ciment pour reboucher les trous dans nos rues" , explique Eric.
Autre décor. Le chêne pointu. Cette fameuse copropriété –
privée –à la dérive, ce bidonville vertical, avec ses rats, ses ascenseurs au
point mort, son système de chauffage à l'agonie, et son épidémie de
tuberculose. Dans le glauque du petit centre commercial, Imène, 20 ans, vend le
pain à la boulangerie. Chaque jour elle voit défiler la misère. Ici, 70% des
habitants vivent sous le seuil de pauvreté. "C'est impressionnant", dit la jeune femme, effarée :
"Les gens demandent des crédits pour une
baguette à 80 centimes. Et ces gens là, tout le monde les oublie."
Ce n'est pourtant pas pour cela que
cette fille de 20 ans n'ira pas voter dimanche. Comme deux habitants sur trois ici,
elle est musulmane. Toute la campagne, elle s'est sentie insultée. "J'ai ma
carte d'électeur dans mon sac, mais je n'irai pas. Je laisse tomber" , dit-elle. Et Imène de poursuivre :
"Moi, je me
sens française : je suis française. Mais c'est la France qui ne me sent
pas française."
"J'ai l'impression qu'on ne veut pas de moi, qu'on me dit 'dégage'. C'est ce que je finis par avoir envie de faire." Imène rêve de retourner dans le pays de ses parents, la Tunisie.
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