Quand le "trésor nazi" ravive l'espoir
Depuis
quelques jours Jean-Jacques Bauer, 84 ans, surfe régulièrement sur internet. A
travers les verres épais de ses lunettes, posées au bout du nez, il consulte le
site Lostart.de. Un site allemand qui recense les œuvres dont les
juifs ont été spoliés sous le régime nazi. Depuis la semaine dernière, au
compte-goutte, ce site publie des clichés de tableaux retrouvés dans
l'appartement munichois de Cornélius Gurlitt, fils d'un marchand d'art allemand. Il vivait reclus au milieu de plus de 1.400
dessins, gravures et peintures, suspectés d'avoir été soustraites à des Juifs
après 1933. Jusqu'à présent, sur les deux cents œuvres mises en ligne,
Jean-Jacques Bauer n'en a reconnu aucune. Mais il garde un petit espoir d'y
retrouver une ou deux toiles ayant appartenu à son grand-père. "Si je
n'avais pas d'espoir, je ne serai plus là ", lâche l'octogénaire.
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Cela
fait maintenant cinq décennies qu'il s'est lancé dans la quête de la collection
de son aïeul. Une collection impressionniste impressionnante: 13 Pissaro, 4
Sisley, 4 Boudin, 1 Degas,1 Berthe-Morisot. "Il y en avait partout "
décrit Jean-Jacques Bauer en se remémorant l'appartement parisien de son
grand-père, Simon. "Il y en avait au plafond, sur les murs, il n'y avait
pas un centimètre carré de libre. C'en était même très laid ". L'inventaire établi sous l'occupation recense 91 œuvres. Toutes saisies le 10
octobre 1943.
Dès
son retour de Drancy à la libération, Simon Bauer tente de récupérer ses biens.
Quelques tableaux se trouvent au Musée du Jeu de Paume. Mais la majeure partie de
la collection a disparu. Vendue par l'administrateur nommé en vertu des lois
d'exception, à son profit. "On l'a coffré, il est mort en prison juste
après la guerre ", raconte le petit-fils, "mais ça n'a pas rendu les
tableaux ". Quelques années après le décès de son grand-père en 1947,
Jean-Jacques Bauer reprend le flambeau des recherches. Un travail de fourmi.
Pendant
cinquante ans, celui qui est devenu patron dans la chimie consulte les
catalogues des ventes, arpente les expositions, interroge les marchands d'art.
Et se heurte souvent à des murs. En 1965, deux Pissaro ayant appartenu à son
grand-père sont saisis dans une chambre d'hôtel à Paris. Mais un juge les
restitue à l'intermédiaire New-Yorkais qui venait de les acquérir. "Ça ne
me désole pas ça me dégoûte ", peste encore aujourd'hui Jean-Jacques
Bauer. "Jusqu'à très récemment, c'était très difficile de faire bouger
des magistrats. Ces biens étaient frappés d'infamie, c'était tout juste si on
ne devait pas avoir honte de les réclamer ".
Encore
29 dans la nature
Le
petit-fils opte alors souvent pour la négociation avec les "propriétaires"
qu'il retrouve. Comme cette dame, bien en vue à Paris, qui avait expliqué de
bonne foi s'être fait offrir La faneuse de Pissaro, "en
cadeau de rupture " par son ancien amant. Elle et Jean-Jacques Bauer ont
partagé le fruit de la vente. Idem pour un autre Pissaro, retrouvé avec l'aide
d'un commissaire de police motivé : il met en garde à vue un célèbre marchand
d'art parisien, qui mènera à l'audition d'un expert impressionniste de
Lausanne, renvoyant lui-même à un intermédiaire zurichois, pour un tableau finalement
conservé au Lichtenstein pour le compte d'une famille américaine.
Au
chapitre roman d'espionnage, il y a encore ce tableau intercepté en plein
transfert, sur un quai de la gare de Kehl en Allemagne. Jean-Jacques Bauer a ainsi
pu retrouver trace de 62 œuvres. Mais n'en possède chez lui qu'une poignée. Il
n'est pas le seul héritier et il a souvent fallu discuter avec les
"propriétaires" pour trouver des arrangements financiers, sans
restitution des toiles.
Il
en reste donc aujourd'hui vingt-neuf dans la nature, portées disparues. Et si
une ou deux se trouvait dans la collection Gurlitt ? Jean-Jacques Bauer y a pensé dès qu'il a entendu
parler de l'affaire munichoise, le 4 novembre. Le lendemain, il envoyait un e-mail
à la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation, la CIVS, structure
qui l'aide dans ses recherches depuis sa création en 1999. Ce qui a fait
"tiquer" le petit-fils de collectionneur, c'est le nom d'un
intermédiaire, cité dans l'affaire Gurlitt, et qui avait aussi collaboré avec
le liquidateur des œuvres de son grand-père. "On ne sait jamais ", souffle
l'héritier Bauer, qui préfère rester prudent. "Je serais très heureux qu'au
bout de cela, il y ait un ou deux tableau qui se balade [à Munich] ".
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