Le rendez-vous de la médiatrice. Le traitement éditorial du conflit du Haut-Karabakh
Pour répondre aux auditeurs au sujet du traitement médiatique du conflit du Haut-Karabakh sur l'antenne de franceinfo, Emmanuelle Daviet, la médiatrice des antennes de Radio France, reçoit Jean-Marc Four, directeur de la rédaction internationale de Radio France.
La guerre a recommencé dans le Haut-Karabakh, enclave arménienne en Azerbaïdjan, des tirs de roquettes répétés, des populations déplacées. franceinfo accorde une large place au traitement de ce conflit. Et les auditeurs et internautes écrivent à la médiatrice des antennes de Radio France à ce sujet.
Première remarque d'un auditeur. "À vos journalistes qui parlent des Arméniens du Haut-Karabakh comme des 'séparatistes', je rappelle qu’ils résistent pour leur indépendance. Ces 'séparatistes' ont été séparés de leur patrie (L'Arménie) sur une décision de Staline lors de la soviétisation du Caucase. Je vous prie d’épargner vos approximations journalistiques à ce peuple du Haut-Karabakh qui se bat pour son indépendance."
Un autre auditeur s’interroge : "Sur quelle information se base Radio France pour appeler l’Armée nationale arménienne, armée séparatiste ?"
Emmanuelle Daviet : Que leur répondez-vous ?
Jean-Marc Four : Un petit point à souligner : on a fait le choix à Radio France de faire une couverture éditoriale forte de ce conflit. C’est-à-dire que nous avons envoyé Claude Bruillot, notre correspondant permanent à Moscou, tout de suite au Haut-Karabakh, il y est resté 15 jours. À part l’Agence France Presse, je crois qu’aucun autre média n’y a apporté autant d’importance. C’est important de le préciser, on y accorde une importance éditoriale.
Sur le choix du mot "séparatisme", je vais peut-être choquer certains auditeurs mais je crois que c’est le bon mot. Ce n’est pas un mot péjoratif, ça veut dire la volonté d’une population de se séparer d’un autre groupe de population. "Séparatisme" ne veut pas dire "terrorisme", en l’occurrence c’est bien de cela dont il s’agit. En termes de droit international, aujourd’hui encore, le Haut-Karabakh est censé appartenir à l’Azerbaïdjan. C’est l’ONU qui le dit, ce n’est pas moi. Effectivement, ça date de Staline en 1920, c’est tout à fait exact, mais il n’en reste pas moins que c’est la situation internationale.
Aucun pays au monde n’a reconnu le Haut-Karabakh comme étant indépendant. Mais d’ailleurs, il y a même trois positions, puisque l’Arménie souhaiterait que le Haut-Karabakh lui revienne, l’Azerbaïdjan également, et les séparatistes, excusez-moi du mot, du Haut-Karabakh souhaiteraient être autonomes, indépendants avec la République d’Artsakh. Ça, c’est la situation de droit, il y a aussi une situation de fait, et là, c’est tout à fait juste, c’est une zone essentiellement peuplée d’Arméniens depuis le IVe siècle avant JC, il est légitime qu’ils cherchent à être indépendants. Mais c’est une situation de fait, pas de droit.
Emmanuelle Daviet : Un autre auditeur demande "Pourquoi ne parle-t-on pas plus clairement d’agresseurs et d’agressés ?" Appartient-il aux journalistes d’avoir recours à un champ lexical qui éditorialise le propos sur ce conflit?
Jean-Marc Four : C’est vrai que les mots "agresseurs", "agressés" éditorialisent un peu. Après, tout le monde a clairement dit que c’est l’Azerbaïdjan qui a attaqué le Haut-Karabakh, d’ailleurs aussi une partie du territoire arménien. Les choses ont été clairement dites, c’est de fait l’Azerbaïdjan qui a déclenché cette guerre. Employer les mots "agresseurs", "agressés", ça renvoie à la question précédente, ça éditorialise aussi une question qui fait partie du droit, et on voit bien qu’il y a des positions très différentes sur cette question juridique.
J’ajouterais que d’une certaine manière, de l’autre côté, l’Azerbaïdjan pourrait se plaindre d’un déficit de couverture éditoriale de la part des médias occidentaux, parce que les médias occidentaux sont tous allés du côté du Haut-Karabakh et de l’Arménie, parce que l’accès est plus facile, et quasiment personne n’est allé du côté de l’Azerbaïdjan.
Emmanuelle Daviet : "De quoi a-t-on peur à Radio France (et en France en général) pour condamner les agressions de l’Azerbaïdjan", demande un auditeur. Est-ce vraiment le rôle des journalistes ?
Jean-Marc Four : Non, je ne pense pas que ce soit le rôle des journalistes que de condamner, je pense que c’est davantage le rôle des politiques, des personnalités de la société civile. En revanche, c’est le rôle des journalistes que de documenter les faits, de raconter le réel, d’aller voir si par exemple dans ce conflit, il y a des crimes de guerre, si, et ça semble être le cas, des civils sont bombardés de façon totalement indiscriminée. Et de fait, les reportages de Claude Bruillot l’ont montré : Oui, il y a des bombardements de l’Azerbaïdjan sur des villages civils où il n’y a pas le moindre militaire. Ça, c’est le travail du journaliste.
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