La Mata Hari des temps modernes
L'infiltration d'"illégaux" avait toujours caractérisé les méthodes d'espionnage du Kremlin, vouées à tisser une toile aussi large qu'invisible
L'absence de protection officielle, notamment diplomatique, rendait ces derniers rapidement repérables (par le FBI, en l'occurrence), dès lors qu'ils s'approchaient de sources sensibles.
L'arrestation aux États-Unis et à Chypre, au cours de l'été 2010, de onze personnes soupçonnées d'intelligence avec la Russie propulsa de nouveau ces procédés de renseignement au cœur de l'actualité, levant le voile sur des détails truculents.
Ce fut surtout Anna Chapman, une flamboyante rousse aux allures de femme fatale, qui précipita l'offensive de services secrets américains.
Tout commença au début des années 1990. À l'époque, un groupe de jeunes économistes proches du président russe Boris Eltsine préconisa de privatiser toutes les entreprises du pays.
Anna Chapman aimait bien se sentir européenne et eut un attachement tout particulier pour Londres comme centre des finances internationales. ( Cependant elle vécut la fin de l'URSS comme une tragédie. Anna a donc gardé une nostalgie de l'Empire, débarrassé des mauvais souvenirs. )
En 2001, lors d'une rave party, elle rencontra Alex Chapman, fils d'un riche homme d'affaires britannique. Les deux amants se marièrent peu après à Moscou. Désormais, la jeune femme disposait de la double nationalité et, tout en conservant son passeport russe, elle obtint un passeport britannique. Mais l'usure du couple fut rapide.
Vers 2003-2004, Anna devint distante et fréquenta un groupe de russes richissimes, avec lesquels elle sortait sans son mari, car ses amis ne parlaient pas anglais. À cette période, elle avait accès à plus d'argent et parlait de rencontres avec des personnes influentes.
Alex et Anna divorcèrent en 2005, et la jeune femme retourna en Russie l'année suivante, bien qu’ils soient restés en bons termes.
De Moscou aux Etats-Unis
En 2007, Anna Chapman s'installa donc aux Etats-Unis. Divorcée, débarquant de Moscou, cette grande adepte de Facebook s'y fit aussitôt passer pour une spécialiste des start-up.
Le profil d'Anna Chapman sur le réseau social Linkedln la qualifiait de CEO (chief executive officer) de Property Finder LLC, un site web d'immobilier international présentant des offres à Moscou, en Espagne, en Turquie, en Bulgarie et dans d'autres pays. La flamboyante rousse avait en outre écrit sur sa page Facebook : "Si tu fais un rêve, il peut se réaliser."
La romantique jeune femme dont le joli minois avait émoustillé toute l'administration Obama s'adonnait pourtant à des activités plus discrètes. Au printemps 2009, aux fins de pénétrer les visées d'Obama avant le sommet du G8, Moscou lui alloua d'importantes liquidités. Cette mission visait en particulier à divulguer les positions américaines en matière de désarmement et sur la question du nucléaire iranien.
Sous l'ère Poutine
Le FBI décida de passer à l'action car l'oiseau, s'apprêtait visiblement à quitter le territoire.
Cinq des dix personnes arrêtées comparurent immédiatement devant un juge fédéral à New York. Poursuivis pour " conspiration dans le but d'agir comme agents de renseignements étrangers " ainsi que pour blanchiment d'argent, les suspects, pour la plupart d'origine russe, risquaient jusqu'à vingt-cinq ans de prison. Ils furent accusés de falsification d'identité et de tentative d'extorsion d'informations et de secrets d'État sous couvert d'une complète infiltration de la société américaine.
Mais la Russie décida d'éviter le procès tout en faisant d'Anna Chapman une figure emblématique du système Poutine.
À Moscou, l'homme fort du pays, Vladimir Poutine, reçut personnellement les "illégaux" avec les fastes du Kremlin. Il passa la soirée en leur compagnie et prédit à Anna Chapman – la plus jeune des agents – un "brillant avenir".
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