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Habib Bourguiba avait-il interdit le voile dans la rue, comme l'affirme Marine le Pen ?

La candidate RN à la présidentielle veut interdire le voile en France, y compris dans l'espace public. Elle assure que cela était notamment le cas en Tunisie, lorsque Habib Bourguiba était président. C'est faux.

Article rédigé par franceinfo, Joanna Yakin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Marine Le Pen, candidate Rassemblement national à la présidentielle, invitée de France Inter, mardi 12 avril 2022. (FRANCE INTER / RADIO FRANCE)

Avec Marine le Pen présidente, une femme ne pourrait plus porter le voile même dans la rue ou les transports sous peine d'amende. Interrogée mardi 12 avril sur France Inter, sur le fait que la France deviendrait ainsi le seul pays à interdire le voile dans l'espace public, la candidate du Rassemblement national a défendu sa promesse assurant que "monsieur Bourguiba avait interdit le voile en Algérie".

Une première erreur n'aura pas échappé à nombre d'auditeurs : Habib Bourguiba n'a jamais été le président de l'Algérie, mais de la Tunisie, de 1957 à 1987. Cette confusion a d'ailleurs largement fait réagir les réseaux sociaux avec de nombreux tweets se moquant de Marine le Pen. L'ancienne ministre d'Emmanuel Macron, Nathalie Loiseau, a même accusé la candidate RN de mentir.

En admettant que la langue de Marine Le Pen ait pu fourcher, sur le fond, cette déclaration reste tout aussi fausse. D'après les spécialistes de la Tunisie interrogés par franceinfo, le voile n'a jamais été interdit dans la rue sous Bourguiba. Le président tunisien a bien émis quatre circulaires à partir de 1981 pour prohiber le port du voile dans le pays, mais "jamais dans la rue", assure Hasni Habidi, directeur du centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. D'après le politologue, ces circulaires sont venues interdire le voile uniquement dans les établissements publics : écoles, administrations, médias publics.

Cela s'est fait au nom de la neutralité des institutions voulue par Bourguiba, mais "quand même avec une grande flexibilité dans l'application", tempère le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam). Si les enseignantes devant les écoliers se conformaient à cette circulaire, des arrangements pouvaient avoir lieu pour les agents publics moins visibles. En ce sens, les règles sont à ce jour bien plus strictes en France sur ce sujet qu'elles ne l'étaient en Tunisie.

Une exception française

La France fait d'ailleurs plutôt figure d'exception sur la règlementation encadrant le port de signes religieux. D'après Nicolas Cadène, cofondateur de la Vigie de la Laïcité, elle présente le cadre le plus strict en Europe, voir au monde. L'ancien rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité rappelle qu'en France, les élèves ont interdiction d'afficher des signes ostensibles d'appartenance à une religion et les agents publics sont tous soumis à un principe de stricte neutralité.

Ailleurs en Europe, les législations sont très variables mais jamais aussi fortes ou homogènes. Dans certains pays, le port de signes religieux est encadré dans certains cas, mais pas d'autres. Les règles peuvent même varier au sein d'un même pays comme en Allemagne, où les restrictions ne sont pas les mêmes en fonction des Länder. 

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