La Syrie a-t-elle flouté la ministre allemande des Affaires étrangères sur les photos officielles de sa visite à Damas ?
C'est une image qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux. On y voit au centre Ahmad al-Chareh, le nouveau dirigeant de la Syrie, connu aussi sous son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani, devant le drapeau de l'Armée syrienne libre qui est devenu le drapeau officiel de ce pays depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, il y a un mois. À sa gauche, on voit distinctement Jean-Noël Barrot, le ministre français des Affaires étrangères, lors de son déplacement à Damas vendredi 3 janvier 2025. Mais à sa droite, s'érige une silhouette floutée, méconnaissable. Il s'agit de la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui faisait aussi partie du déplacement.
La ministre n'est pas floutée sur les photos officielles
Des internautes s'interrogent sur ce floutage. "Si confirmé, ce floutage d'une femme par les nouveaux maîtres de la Syrie (ex-terroristes) est proprement insupportable", s'insurge l'avocate Noëlle Lenoir, ancienne ministre chargée de l'Europe, sur X. Silvano Trotta, un complotiste français, interpelle directement Jean-Noël Barrot : "Comment ce ministre peut accepter le traitement fait à sa collègue allemande parce que femme ? On soutient des barbares en disant que l'on est content de s'être débarrassé de la barbarie d'Assad ?"
Mais ce ne sont pas les nouveaux maîtres de la Syrie qui ont flouté cette photo. L'agence de presse officielle Sana a publié cinq photos officielles de cette visite, dans lesquelles la cheffe de la diplomatie allemande est parfaitement reconnaissable. Sur la photo décrite ci-dessus, on la voit donc à la droite du nouveau leader syrien, debout devant le drapeau allemand. Le compte X du ministère des Affaires étrangères syrien a également partagé trois de ces photos officielles, sans aucun floutage.
Floutage réalisé par une chaîne Telegram d'information
Le floutage a en réalité été réalisé par la chaîne Telegram Almharar, un réseau d'information syrien suivi par plus de 350 000 personnes. Ce n'est pas un organe de communication officiel du nouveau gouvernement syrien, même si ce compte a plusieurs fois montré son soutien à l'Armée syrienne libre et au Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et son opposition au régime déchu de Bachar al-Assad.
Ce réseau affiche une vision très rigoriste de l'islam. Par exemple, il demande à ses abonnés de ne pas afficher de portrait d'Ahmad al-Chareh pour ne pas faire un culte de la personnalité, contrairement à ce que faisait le régime déchu. Et ce compte floute toutes les femmes, sur toutes les photos. Pendant la visite de Jean-Noël Barrot et d'Annalena Baerbock, deux femmes interprètes ont subi le même sort.
"Toutes les chaînes officiellement liées à HTS, actives bien avant la chute du régime syrien, ont publié des photos de la visite sans aucune altération", affirme VeSyria sur X, un média spécialisé dans la vérification d'information sur la Syrie.
Broderick McDonald, un universitaire britannique spécialisé dans la Syrie, déplore une nouvelle désinformation alors que le floutage vient d'un "banal compte Telegram", selon lui.
Incertitude politique en Syrie
Le média allemand N-TV a été le premier à se faire l'écho de ce floutage par cette chaîne Telegram qu'il qualifie de "proche de HTS". Il commence son article en visant directement le nouveau gouvernement syrien avec ces mots : "Les nouveaux dirigeants syriens semblent avoir de gros problèmes dans leurs relations avec les femmes politiques influentes." L'information a ensuite été reprise dans un média à tendance pro-russe, News-Pravda avec encore moins de nuance.
Si la rumeur se répand c'est parce qu'elle est particulièrement crédible, alors que le nouveau leader syrien est un ancien combattant jihadiste et alors que, pendant cette visite, il a tendu la main au ministre français pour la lui serrer, mais ne l'a pas fait avec la ministre allemande.
La rumeur traduit surtout le moment d'incertitude politique dans lequel se trouve encore la Syrie, un mois après la chute d'un régime dictatorial qui avait une lecture modérée de l'islam, chassé du pouvoir par des mouvements islamistes. Aujourd'hui, le nouveau gouvernement syrien est composé d'islamistes en quête de respectabilité et de légitimité sur la scène internationale. Observer le traitement qu'ils réservent aux femmes sert autant d'indices pour savoir s'ils adopteront une vision plus souple de l'islam, ou s'il se passera en Syrie ce qu'il s'est passé en Afghanistan avec le retour des talibans au pouvoir. Ils avaient promis de ne pas atteindre aux droits des femmes, depuis, elles n'ont quasiment plus de droits.
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