La "transvestigation", ces pseudo-enquêtes transphobes se multiplient dans la complosphère
C'est une pratique de plus en plus répandue dans la complosphère américaine et qui a fait une arrivée fracassante en France ces dernières années, avec l'affaire Brigitte Macron.
Deux femmes, la "médium" Amandine Roy et l'auto-proclamée "journaliste indépendante autodidacte" Natacha Rey, ont soutenu dans une vidéo publiée en 2021 que la Première dame était en réalité une femme transgenre qui serait née sous l'identité masculine de Jean-Michel Trogneux – son frère – avant de changer de genre. Elles affirmaient que l'épouse d'Emmanuel Macron n'était pas la mère de ses trois enfants et qu'elle avait subi des interventions chirurgicales. Ces deux femmes ont été condamnées pour diffamation en septembre dernier.
Les femmes de pouvoir, cibles privilégiées des "transvestigateurs"
Pour affirmer tout cela, ces deux femmes se sont livrées à ce qui s'appelle une "transvestigation". Le mot a été inventé il y a une dizaine d'années par ses adeptes, qui se surnomment des "transvestigateurs". Contraction entre les mots transgenre et investigation, la pratique consiste à pseudo-enquêter sur internet pour prouver que des personnalités publiques sont secrètement des personnes trans.
Les "transvestigateurs" s'en prennent majoritairement à des femmes, allant de Madonna à Michelle Obama, en passant par Taylor Swift et Kim Kardashian. Des internautes se lancent dans des analyses de photos un peu farfelues. Ils comparent la forme du crâne, de la mâchoire, ils mesurent la taille du front, l'écartement des yeux, la rondeur des hanches, et ils concluent, par exemple, que l'actrice Jennifer Anniston ou que Stéphanie de Monaco ne sont pas nées femmes, puisqu'elles ont une mâchoire carrée. Des pseudo-preuves que les "transvestigateurs" estiment irréfutables.
Parfois, ils visent aussi des hommes comme Andrew Tate, l'influenceur masculiniste, que des internautes accusent d'être né femme, parce que, sur certaines photos, ils ne voient pas l'ombre d'un pénis.
Transphobie et complotisme
La pratique peut faire sourire et est parfois tournée en dérision par d'autres internautes. Néanmoins, "malgré leur part de ridicule, ces accusations ne sont pas du tout inoffensives", alerte Lexi Webster, professeure associée de culture digitale à l'université de Southampton, en Angleterre, dans un article publié en mai 2024 sur le site des études de linguistiques et d'analyse des discours ELAD-SILDA.
Les sous-entendus transphobes de ces pseudo-enquêtes ne font aucun doute, aux yeux de l'association américaine de défense des droits des personnes LGBT GLAAD. Elle qualifie la transvestigation de "théorie du complot motivée par la haine". En effet, les adeptes de cette pratique entendent "dénoncer" les transitions de genre cachées car ils estiment qu'être trans est une mauvaise chose, voire une menace pour les valeurs traditionnelles. Ils adhèrent en cela à un discours transphobe qui s'est beaucoup répandu ces dernières années dans la sphère politico-médiatique notamment d'extrême droite, qui assure qu'un lobby trans est actuellement à l'œuvre. Ces pseudo-enquêteurs s'en prenant souvent à des personnes cisgenres – qui ne sont pas trans – en lançant des vagues de harcèlement, GLAAD y voit la preuve que la transphobie est l'affaire de tous.
"Outre la transphobie (et, le plus souvent, la misogynie) inhérente au fait de questionner péjorativement le genre assigné à la naissance d'une personne en faisant uniquement référence à des traits physiques, ces discours ressemblent beaucoup aux applications historiques de pseudo-science à des fins violentes", déplore aussi Lexi Webster. Elle fait notamment référence à la phrénologie, une pseudo-science née au XIXe siècle selon laquelle les bosses du crâne permettaient de révéler le caractère d'un individu. Certains phrénologues pensaient alors que les formes dîtes "primitives" caractérisaient le vagabondage et la criminalité.
En plus de son caractère discriminatoire, la transvestigation verse dans le complotisme car ses adeptes dénoncent tour à tour des personnes trans "illuminati", la pseudo-tendance de "l'inversion de genre des élites" qui prouveraient, selon eux, que les élites sont perverties moralement et qu'elles veulent dévoyer le monde et notamment les enfants. Certains affirment encore que le lobby trans est financé par les Juifs, cibles privilégiées des conspirationnistes depuis des siècles. Évidemment, rien de tout cela n'est vrai.
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