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Vrai ou faux
L'État s'est-il enrichi grâce à l'inflation, comme l'affirme Xavier Bertrand ?

Le président Les Républicains des Hauts-de-France estime que l'État a gagné de l'argent grâce à la forte inflation qui touche la France depuis plus d'un an. Mais c'est plus compliqué que ça. Explications.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France invité de BFM politique, le 16 avril 2023. (LP/OLIVIER LEJEUNE / MAXPPP)

"L'inflation enrichit l'État." La phrase est martelée sur toutes les radios, toutes les télés depuis plusieurs semaines par Xavier Bertrand, le président Les Républicains de la région Hauts-de-France. Il l'a répétée sur LCI mardi 26 septembre.

"L'inflation enrichit l'État parce que l'État a un surplus de taxes, de recettes et de recettes fiscales", a-t-il affirmé. "En 2022, le surplus de TVA a représenté 15 milliards d'euros, le surplus d'impôt sur les sociétés doit être je crois de 11 milliards d'euros, le surplus d'impôt sur le revenu 10 milliards d'euros." Xavier Bertrand dit-il vrai ? L'État s'enrichit-il grâce à l'inflation ?

Certaines recettes ont bien augmenté en 2022…

"Oui mais non". C'est ainsi que Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) le résume.

Sur le principe, l'élu Les Républicains voit juste : les taxes rapportent en effet plus à l'État en période d'inflation. Si un produit coûte plus cher, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliquée sur ce produit, qu'elle soit de 2,1%, 5,5%, 10% ou de 20%, rapporte plus, c'est mécanique.

Les chiffres donnés par l'élu sont aussi plutôt vrais. On les retrouve dans les tableaux de l'Institut national de la statistique et des études économiques. Selon l'Insee, les recettes liées à la TVA sont passées de 184,7 milliards d'euros en 2021 à 199,7 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 15 milliards d'euros. Les recettes liées à l'impôt sur les sociétés sont passées de 45,8 milliards d'euros en 2021 à 59,8 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 14 milliards d'euros – chiffre supérieur à celui annoncé par Xavier Bertrand. Les recettes de l'impôt sur le revenu des personnes ont quant à elles augmenté de 9,3 milliards d'euros en passant de 79,8 milliards d'euros en 2021 à 89,1 milliards d'euros en 2022.

... mais ce n'était pas uniquement dû à l'inflation

Néanmoins, il faut apporter plusieurs nuances. D'abord, toutes ces hausses ne sont pas entièrement ni uniquement dues à l'inflation. L'impôt sur le revenu par exemple est aussi tiré vers le haut par l'augmentation du nombre de travailleurs imposables et la hausse des salaires – qui n'est pas uniquement une adaptation à l'inflation. La part de ces surplus de taxes due à l'inflation n'est pas connue, à l'heure actuelle.

Ensuite, ces recettes ne vont pas entièrement dans les caisses de l'État, certaines sont destinées aux collectivités locales et d'autres au profit d'organismes divers. Et celles qui sont à destination de l'État ne restent pas dans ses caisses, ces sommes ne sont pas stockées. "Il n'y a pas de pactole", se défend le ministère de l'Économie.

L'inflation a aussi coûté à l'État

Finalement, "c'est plus compliqué" que ce que dit Xavier Bertrand, aux yeux de Mathieu Plane. Contacté par franceinfo, l'économiste invite à avoir une vision plus globale du budget de l'État. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte.

Il rappelle notamment que la Banque centrale européenne (BCE) mène une politique économique plus restrictive avec une hausse de ses taux directeurs depuis quasiment un an en lien avec l'inflation. Cela signifie que l'argent coûte plus cher pour les ménages, les banques, les entreprises mais aussi pour les États qui ont une dette à rembourser et qui ont besoin d'emprunter de l'argent pour leurs dépenses annuelles.

Mais surtout, il faut comparer les recettes de l'État à ses dépenses. Même si "l'inflation peut rapporter de l'argent à l'État", il ne faut pas oublier que "les dépenses aussi augmentent", en somme. D'une part, les pensions de retraites et les salaires des fonctionnaires notamment coûtent davantage à l'État en période d'inflation puisqu'ils augmentent mécaniquement et proportionnellement. D'autre part, les dépenses de l'État en alimentaire et en énergie coûtent aussi plus cher, tout comme pour les ménages. 

Enfin, il faut aussi contrebalancer les recettes dues à l'inflation aux dépenses, ristournes et coups de pouce de l'État pour soutenir le pouvoir d'achat des Français précisément pour faire face à cette inflation. Là aussi, aucun chiffre global des dépenses liées à la TVA n'est donné mais un rapport d'information de la Commission des finances du Sénat de juin 2023 estime que "les enjeux financiers des aides décidées dans le cadre de la crise des prix de l'énergie sont considérables. Ils pourraient avoisiner les 85 milliards d'euros entre 2021 et 2023", dont 40 milliards d'euros pour les boucliers tarifaires et les amortisseurs, dont également des pertes de recettes fiscales. À ces 85 milliards d'euros, il faut encore ajouter les efforts faits pour soutenir le pouvoir d'achat en général, pas spécifiquement pour acheter de l'électricité ou du carburant, comme la prime exceptionnelle de rentrée de septembre 2022 et d'autres indemnités.

La dette française continue de progresser

Avec une vision encore plus globale, une question d'ordre général se pose également : est-il pertinent et/ou approprié de parler d'enrichissement pour un État surendetté ?

En effet, si l'on regarde les indicateurs de l'année 2022, qu'ils soient liés à l'inflation ou non, on constate que l'augmentation globale des recettes n'a pas permis de financer toutes les dépenses. L'État a perçu 1 411 milliards d'euros de recettes en 2022 mais a dépensé 1 536 milliards d'euros. Un écart d'environ 125 milliards d'euros. Comme depuis de nombreuses années, l'État a donc dépensé plus d'argent qu'il n'a gagné et a dû emprunter pour se financer.

On peut néanmoins noter que les recettes ont progressé plus vite que les dépenses entre 2021 et 2022. Quand les premières augmentaient de 96 milliards d'euros en passant de 1 315 milliards d'euros à 1 411 milliards d'euros (+7,3%), les dépenses n'augmentaient "que" de 59 milliards d'euros, en passant de 1 477 milliards d'euros à 1 536 milliards d'euros (+4%). Selon l'Insee, le déficit public a baissé en 2022, comparé à 2021. Mais là aussi, ce n'est pas dû qu'à l'inflation, c'est aussi le résultat des efforts de l'État pour réduire ses dépenses. Et pour autant, la dette publique, elle, a continué à se creuser pour atteindre 2 950 milliards d'euros fin 2022 et dépasser la barre symbolique des 3 000 milliards d'euros en mars 2023.

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