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Vrai ou faux
Le film "Sound of freedom" est-il complotiste ?

Succès du box-office américain, le film "Sound of freedom" sort en France mercredi 15 novembre. Un film entouré de polémiques qui agite la sphère complotiste.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
Jim Caviezel, acteur du film "Sound of freedom" (SAJE DISTRIBUTION)

C'est le film qui fait le plus parler de lui en cette mi-novembre. Sound of freedom, le film d'Alejandro Monteverde qui raconte l'histoire d'un homme venant au secours d'enfants victimes de trafic sexuel, arrive en France, mercredi 15 novembre, après avoir connu un véritable succès aux États-Unis l'été dernier, engrangeant plus de 180 millions de dollars de recettes alors que sa production avait coûté moins de 15 millions de dollars. 

S'il fait parler de lui, ce n'est pas vraiment pour ses qualités cinématographiques - les critiques ont même la dent dure, le mot "navet" revenant souvent. Ce qui fait parler, ce sont les accusations qui le visent. Libération , Le Point et Première titrent sur un "film complotiste" ou un "thriller complotiste". Cependant, au contraire, à la sortie de son avant-première le 7 novembre à Paris, Homayra Sellier, la fondatrice du mouvement Innocence en danger qui milite pour la protection des enfants, parlait d'un film "émouvant, fort". Un film "utile", selon Karl Zéro, ancien animateur radio et télé, qui dénonce l'existence de réseaux pédocriminels en reprenant une théorie du complot lancée par QAnon (voir ci-dessous). Alors qu'en est-il ? Sound of freedom est-il juste un film ou un film complotiste ?

Non, le film en soi n'est pas complotiste

Franceinfo a visionné le film avant sa sortie et, en soi, non, il n'est pas complotiste. Il s'inspire d'une histoire vraie, comme cela est précisé dès le début. L'histoire de Timothy Ballard, un mormon père de neuf enfants, ancien agent spécial du département de la Sécurité intérieure américaine, qui a créé en 2013 une ONG, Operation underground railroad (ORU), pour sauver les enfants enlevés par des réseaux de trafiquants sexuels et permettre d'arrêter les coupables. Alejandro Monteverde dit avoir voulu sensibiliser à ce sujet et s'étonne que son film soit rapproché du complotisme.

Le film a pris des libertés avec la réalité et raconte un sauvetage qui ne s'est pas passé dans la réalité, mais beaucoup de fictions inspirées d'histoires vraies prennent aussi de telles libertés. À la fin, il diffuse des images réelles, tirées des opérations de ORU sur le terrain. Le film ne dit pas que les méthodes de l'ONG qui consistent à se faire passer pour des clients du trafic sexuel sont controversées. Des experts de la lutte contre le trafic d'enfants pensent aussi, auprès du magazine Rolling Stone (en anglais), que le film donne une mauvaise perception de ce trafic, puisque la majorité du temps il ne s'agit pas de vaste réseaux qui kidnappent les enfants. En vérité, les victimes connaissent et font confiance à leurs trafiquants. Mais ces critiques ne font pas du film un thriller complotiste.

Des chiffres plutôt exacts sur le trafic des enfants et l'esclavage moderne

Sound of freedom donne aussi quelques chiffres sur le trafic sexuel des enfants et l'esclavage moderne qui ont tous été vérifiés par franceinfo. Le film indique que deux millions d'enfants sont victimes du trafic sexuel, et c'est un chiffre cité par le Conseil de l'Europe et le journal Le Monde au début des années 2000. L'Unicef rappelle néanmoins qu'il est difficile d'évaluer précisément le phénomène.

La traite des êtres humains rapporterait 150 milliards de dollars de recettes ? C'est un chiffre évoqué par Jean-Claude Brunet, l'ambassadeur en charge de la lutte contre les menaces criminelles transnationales de la journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains en juillet 2022. Les États-Unis seraient parmi les pays les plus gros consommateurs de pédopornographie ? C'est en effet le deuxième pays à héberger le plus de contenus pédopornographiques selon l'association Point de Contact, relayée par l'AFP en mai 2020.

La seule affirmation difficilement vérifiable est celle selon laquelle il y a davantage d'esclaves aujourd'hui que quand l'esclavage était légal. Difficilement vérifiable car, à l'époque, il n'y avait pas de décompte ni d'estimation mondiale comme à présent. Selon un rapport de l'Organisation internationale du travail (OIT), 50 millions de personnes étaient en situation d'esclavage moderne en 2022.

Film plébiscité par des complotistes

En réalité, ce qui dérange les détracteurs de Sound of freedom, ce n'est pas tant le film en soi que tout le tapage qui l'entoure. Il est soutenu par Donald Trump et Elon Musk notamment, tous les deux connus pour leur capacité à véhiculer de fausses informations. Surtout, il a été récupéré, en quelques sortes, par des partisans d'une théorie du complot très répandue aux États-Unis et qui commence à l'être aussi en France.

Cette théorie, lancée par le mouvement américain QAnon, soutient qu'il existe une élite, notamment démocrate, qui s'adonnerait au trafic d'enfants à des fins pédocriminelles mais aussi pour leur prélever de l'adrénochrome, une substance que les enfants créeraient et qui permettrait de ne pas vieillir. Cette théorie est tellement répandue qu'elle a perturbé la campagne présidentielle de la candidate démocrate Hillary Clinton en 2016, citée dans ce qui a été appelé le Pizzagate, une pizzeria accusée d'accueillir le réseau pédocriminel de son directeur de campagne. 

La théorie a été assimilée au film dès sa promotion par son acteur principal, Jim Caviezel, une figure très controversée. Il a plusieurs fois parlé d'adrénochrome pendant des interviews ces dernières années. Tim Ballard, dont le film raconte l'histoire, a aussi tenu des propos polémiques, liant sans preuve la transidentité des enfants et la pédophilie pendant la promotion du film. Par leurs positions personnelles, les deux hommes ont donné une certaine résonnance à Sound of freedom. Finalement, les partisans de cette théorie se sont emparés du film, compte tenu de la proximité de son sujet avec leurs opinions, même si celui-ci n'évoque jamais de complot des élites ni d'adrénochrome. Tristan Mendès France, du podcast Complorama de franceinfo, notait sur X que Sound of freedom était principalement porté par des personnes qui colportent des théories conspirationnistes, lors de sa sortie américaine.

Les difficultés rencontrées par le film perçues comme des preuves d'un complot des élites

Des conspirationnistes ont même estimé trouver une preuve de leur théorie dans les difficultés que le film a rencontrées pour trouver un distributeur aux États-Unis puis en France. Sound of freedom, réalisé en 2018, appartenait à Fox international mais l'entreprise a été rachetée par Disney en 2019 et, lors de cet achat, le film "s'est perdu dans les limbes", comme l'a raconté le réalisateur Alejandro Monteverde à Variety (en anglais). "Puis le producteur a collecté des fonds et a racheté le film à Disney. On s'est dit, ok, on le sort, puis il y a eu le Covid-19. Et boom. Les gens nous disaient, avant même de voir le film, que le public voulait voir des films qui mettent de bonne humeur", continue-t-il. Finalement, Angel Studios, un diffuseur appartenant à des frères mormons, a permis de sortir le film cinq ans après son tournage.

Ces difficultés ont été interprétées par certains conspirationnistes comme une preuve que les élites essayaient d'empêcher la projection de ce film dénonçant le trafic sexuel des enfants. Rhétorique reprise en France. Karl Zéro, dont les positions complotistes ont été soulignées par Rudy Reichstadt, le directeur de Conspiracy Watch, dit avoir dû se battre pour trouver un diffuseur français. Il s'agit de Saje Distribution, une entreprise spécialisée dans les films fortement imprégnés de catholicisme. Elle avait distribué notamment le film Vaincre ou Mourir du fondateur du Puy du fou, qui avait aussi fait polémique. 

Florian Philippot, le fondateur du mouvement Les Patriotes, affirme, sur le réseau social X, que le film n'est programmé que dans très peu de salles parce que c'est "un sujet qui dérange énormément", alors que, lorsque l'ancien membre du Front national a publié ce message, le distributeur français l'avait annoncé dans 500 cinémas, soit un cinéma sur quatre en France. Finalement 215 salles le diffuseront dès la première semaine, précise Saje Distribution à franceinfo, soit un cinéma sur dix.

Le fait que plusieurs spécialistes du complot ainsi que plusieurs médias notent l'attirance des complotistes pour ce film semble les alimenter. Ainsi, Florian Philippot estime dans un autre tweet que "contre le Système ultra embarrassé par ce film, il va falloir y aller en masse". Mike Borowski, un autre internaute suivi par des dizaines de milliers de personnes, pense que "le film a été brocardé comme étant un film complotiste [parce que] ces élites ne veulent pas que des enfants soient sauvés des réseaux et que ces réseaux soient mis en lumière".

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