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"Les enfants de la Libération" (4/8) : L'espoir de revoir mes parents

À l'approche du 80e anniversaire du débarquement, notre série "Les enfants de la Libération" vous emmène à Appoigny avec le récit d'Eddy. Elle était cachée avec son frère, dans cette petite ville de l'Yonne, parce que tous les deux juifs. Elle a ensuite attendu le retour de ses parents, qui avaient été arrêtés et déportés en 1942.
Article rédigé par Samuel Aslanoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Eddy-Sarah Saragoussi avait 9 ans au moment de la Libération en 1944 (SAMUEL ASLANOFF / RADIO FRANCE)

Eddy Saragoussi et sa famille vivaient à Paris en 1942, lorsqu'ils ont été arrêtés et emmenés dans la mairie du 18e arrondissement. Le policier ayant procédé à l'arrestation est alors venu rechercher la voisine de la famille Saragoussi, Elisa Caron, en disant qu'il y avait la possibilité de sauver les enfants. "Elle est venue nous chercher sans réfléchir et elle a téléphoné à madame Guyollot, qui avait promis à ma mère qu'elle nous prendrait chez eux, s'il arrivait quelque chose", explique Eddy. 

Lucienne et Raymond Guyollot sont le couple qui a recueilli les enfants Saragoussi à Appoigny. "Mon frère hurlait tout le voyage, détaille Eddy. Il réclamait ses parents et puis on est arrivé, il y avait des animaux et du coup, ça a fait diversion." Les enfants ont fini par retrouver un semblant de vie normale en aidant le couple Guyollot à faire tourner le restaurant. "J'adorais servir au comptoir, raconte Eddy. Je servais des ballons de rouge et j'avais des pourboires. Et ce qui m'a fortement déplu, c'est que, en 44, le ballon de rouge a augmenté, donc mon pourboire avait diminué."

Un jour, Eddy et son frère ont été dénoncés par quelqu'un d'Appoigny. Deux soldats allemands sont venus à l'hôtel pour interroger madame Guyollot. "Elle lui a dit que les enfants n'étaient pas juifs, explique Eddy. Elle a menti, même si, entre temps, on avait été baptisés, mon frère servait à la messe et je faisais mes prières, donc c'était parfait. Finalement, un des Allemands lui a dit : 'Écoutez, si pour mes enfants, quelqu'un les mettait à l'abri, je serais tellement heureux.' Puis ils sont partis alors qu'ils auraient pu nous arrêter." 

L'espoir d'après-guerre

Après la Libération, Eddy et son frère ont attendu avec beaucoup d'espoir le retour de leurs parents. "Il y avait de la peur aussi, parce que j'ai fait un cauchemar pendant des années, où mon père revenait et je devais faire un choix entre partir avec lui et rester avec madame Guyollot, raconte Eddy. Ils avaient perdu leur fils, donc le fait que mon père revienne me posait un problème de loyauté envers elle et son mari." 

Les certificats de décès de ses parents sont arrivés, 10 ans après la libération. Il y était indiqué qu'ils étaient décédés à Paris. "À ce moment-là, je me suis insurgé et j'ai fait une démarche auprès de la mairie, dit Eddy. Pour ma mère, je ne savais pas, mais mon père est mort à Auschwitz. Il était avec d'autres Grecs, qui avaient décidé de s'évader en janvier 1945 et au dernier moment, il est tombé malade et il a dit : 'Écoutez, les Russes arrivent, je ne vais pas risquer de ne pas revoir mes enfants'. Les autres sont revenus, mais lui non. Il a dû faire partie des marches forcées, il n'y a absolument pas de tombe." 

Les parents d'Eddy s'appelaient Bitty et Allègre Saragoussi. Ils ont été déportés par le convoi 44 parti du camp de Drancy le 9 novembre 1942 à destination du camp d'Auschwitz. Leur nom est inscrit sur le mur du mémorial de la Shoah à Paris où figurent les noms des 75 568 juifs déportés de France. "Au début, je n'étais pas trop d'accord pour ça, explique Eddy. Mon frère a insisté et en fait, il avait raison." 

En 1974, Israël a mis en place la médaille des Justes et les enfants Saragoussi ont fait la demande pour les époux Guyollot, qui ont été reconnus, Justes parmi les Nations, les Nations, le 11 juin 1979. Elisa Caron, la voisine venue chercher les enfants au commissariat a également été décorée à titre posthume de la médaille des Justes le 11 octobre 2001.

Eddy a aussi effectué des recherches pour retrouver le nom du policier qui leur avait sauvé la vie. "Étant donné tout ce qu'on dit sur les policiers, qui nous ont arrêtés, je trouve que pour ses enfants et pour sa descendance, ça aurait été bien qu'ils sachent que lui n'avait pas agi comme ça."


"L’espoir de revoir mes parents", épisode réalisé par Samuel Aslanoff. "Les enfants de la Libération", un podcast original franceinfo avec la Mission Libération, à retrouver sur franceinfo.fr, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

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