"L'Histoire de Souleymane" : une course pour la dignité

Les sorties cinéma de la semaine, avec Thierry Fiorile et Matteu Maestracci, avec "L'Histoire de Souleymane" de Boris Lojkine et "Niki" de Céline Sallette.
Article rédigé par Thierry Fiorile, Matteu Maestracci
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Une photo du film "L'Histoire de Souleymane" de Boris Lojkine. (UNITE / PYRAMIDE FILMS)

Souleymane file et zigzague à vélo, comme il peut et aussi vite que possible, dans les rues de Paris, constamment mis sous pression par les horaires et les notations du service de livraison pour lequel il pédale.

À peine considéré par les clients, il profite de ses rares temps morts pour apprendre par cœur, dans un bon français, l'histoire inventée, et qui se passe de candidat en candidat, censée permettre l'octroi d'un titre de séjour. Pour ne rien arranger, sa petite amie restée en Guinée lui annonce qu'elle va se marier avec un autre, et il doit de l'argent à cette connaissance, qui lui a fourni les éléments de ce discours à ingurgiter.

C'est remarquablement écrit, pensé, filmé et interprété

D'autant qu'Abou Sangare, l'interprète de Souleymane – Prix du jury et Prix d'interprétation masculine à Cannes en catégorie "Un Certain Regard" pour son interprétation – est lui-même dans l'attente d'une autorisation de séjour sur le sol français, malgré cette histoire, et plusieurs emplois.

Le film est nerveux, étouffant, il prend aux tripes, on suffoque, on est littéralement dans les roues de Souleymane, mais au-delà de son cas, Boris Lojkine documente aussi une société qui se déshumanise, qui va trop vite, dans laquelle parfois les personnes sont comme des pions, des cases, des prestations qu'on doit valider ou annuler.

Abou Sangare est majestueux de charisme, Nina Meurisse qu'on voit dix minutes à la fin, remarquable aussi, et vraiment L'Histoire de Souleymane est un grand film.


Niki
de Céline Sallette

Peintre, sculptrice, plasticienne, Niki de Saint Phalle, disparue en 2002, a été l'une des figures du mouvement des nouveaux réalistes, au début des années 60, avec Yves Klein, Arman ou Jean Tinguely qui fut son compagnon.

Céline Sallette – grâce lui soit rendue – nous épargne un biopic de plus, elle se concentre sur la naissance de Niki comme artiste, ou plutôt sa renaissance. Victime d'inceste paternel, passée par la case hôpital psychiatrique, elle a l'intuition que l'art, notamment en manipulant la matière, sera son sauveur.

Charlotte Le Bon, elle-même plasticienne, incarne à merveille ce moment où Niki de Saint Phalle se sauve de la folie. D'elle, vous connaissez sans doute la fontaine Stravinsky, à Beaubourg à Paris, ou encore les tirs, performances au cours desquelles elle tirait à la carabine sur ses œuvres, pour faire apparaître des couleurs contenues dans des poches. Céline Sallette évoque la portée symbolique de ces tirs, et la contrainte créatrice de ne pas avoir eu le droit de montrer les œuvres à l'écran.

Voilà donc un anti-biopic réussi : par choix, n'évoquer que l'émergence de Niki de Saint Phalle, par contrainte, ne pas pouvoir montrer les œuvres. Sortir du cinéma, et avoir envie de mieux connaître une artiste : mission accomplie.

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