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Les infox de l'Histoire : "Les Protocoles des Sages de Sion, faux et usages d'un faux antisémite"

Le 26 août 1903 paraissait en Russie la première version d'un des plus célèbres faux de l'histoire. Présenté alors comme un document authentique, les Protocoles des Sages de Sion révélaient l'existence d'une soit-disant conspiration juive visant à conquérir le monde en contrôlant les médias, en manipulant l'économie et en provoquant des guerres et des révolutions. Même si l'on découvrait plus tard qu'il s'agissait d'un faux, les Protocoles quittaient la Russie après la révolution bolchévique de 1917 pour se répandre dans le monde entier, véhiculant tous les stéréotypes de l'antisémitisme. Patrice Gélinet revient sur cette grande affaire aux côtés de Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, co-producteur du podcast Complorama sur franceinfo.

Patrice Gélinet : Bien qu'on ait découvert qu'il s'agissait d'un faux, ce texte continue encore d'être publié aujourd'hui dans le monde entier et utilisé par des idéologies et des régimes politiques très différents. 

Rudy Reichstadt : Oui, on peut faire l'expérience si on va dans le monde arabe par exemple, ça a été mon cas en Égypte, de littéralement trouver un exemplaire des protocoles au coin de la rue s'est vendu comme ça, littéralement dans la rue. Donc c'est un livre qui a encore du succès. Il y en a eu au XXᵉ siècle un succès considérable. Certains auteurs sont allés jusqu'à considérer qu'il avait probablement été diffusé dans des proportions comparables à la Bible. Donc, on parle là d'un document exceptionnel par sa diffusion et exceptionnelle par sa fausseté aussi, parce qu'on sait depuis plus d'un siècle aujourd'hui que c'est un faux. 

Ce texte a été écrit en 1903, par qui et dans quel but ? 

On est condamné à avoir des hypothèses sur le sujet, Dans quel but ? Il y en a deux qui se dégagent. D'abord, ce serait de s'appuyer sur l'antisémitisme russe pour pouvoir discréditer ceux qui, au sein de l'Empire russe, plaidaient pour des réformes et des réformes libérales pour moderniser l'Empire. Donc il s'agissait d'en faire les instruments des Juifs et donc de se servir de l'antisémitisme comme d'un levier, d'une certaine manière. Et puis notre hypothèse, c'est que dès son apparition, le mouvement sioniste, dont le premier congrès sioniste à Bâle, en 1897, avec l'idée d'une implantation juive, d'un retour des juifs en Terre sainte, en Palestine, au Proche-Orient, cet événement-là a été interprété par beaucoup d'antisémites de l'époque comme un projet diabolique qu'il s'agissait de contrecarrer. Donc ça, c'est les deux hypothèses du pourquoi les Protocoles. Maintenant, qui ? Là aussi, il y a l'hypothèse classique qui est que ce serait un agent de l'Ukraine, c'est-à-dire de la police secrète du Tsar à Paris, qui aurait, à la fin du 19ᵉ, début 20ᵉ siècle, rédigé ce faux sur ordre, sur commande. Le problème de cette hypothèse, c'est que les historiens les plus contemporains, et notamment Michael Astor, montrent qu'elle repose sur des témoignages qui sont sujettes à caution. Et surtout, il manque une pièce au dossier, c'est le manuscrit original en français, d'où aurait été tirée la version russe des Protocoles.

En 1919, Lénine annonce que la révolution bolchévique protégeait désormais les Juifs, auparavant persécutés par le régime tsariste. Et c'est là qu'apparaît en Occident, où sont désormais publiés les Protocoles, un nouvel usage de ceux-ci et un nouveau mot : le judéo-bolchévisme. Au fond, les protocoles servent à montrer que les Juifs sont à l'origine de la révolution bolchevique.

Oui, parce que c'est un texte qui se présente comme un programme de domination du monde par les Juifs, en s'appuyant d'ailleurs notamment sur les Francs-maçons et les mouvements ou le mouvement ouvrier international. Et c'est un document qui, pour les Russes blancs, c'est à dire les monarchistes fidèles à l'ancien régime, qui pour beaucoup d'entre eux, doit s'exiler en Europe de l'Ouest à partir de 17 18, et qui d'ailleurs envoie à la Conférence de la paix, aux diplomates qui sont réunis pour faire le traité de Versailles des exemplaires des Protocoles des Sages de Sion. Eh bien, ce texte, c'est une sorte de grille de lecture qui permet, qui rend plausible ce qui s'est passé, où on nous dit que finalement, tout était déjà prévu, ça n'est pas ce à quoi on a assisté. Le bouleversement auquel on a assisté était déjà écrit. 

Avec "Les infox de l’Histoire", la troisième saison du podcast de la Fondation Descartes en partenariat avec franceinfo, voyagez à travers les époques au cœur des grands épisodes de désinformation. Patrice Gélinet et ses invités exposent et analysent les infox qui ont défrayé la chronique de l’antiquité à nos jours. Complotisme, désinformation, rumeurs, calomnies, emballements médiatiques… Une troisième saison de huit épisodes pour décrypter les mensonges de l’Histoire.

Producteur : Patrice Gélinet
Réalisatrice : Gilles Blanchard
Documentaliste/Attachée de production : Juliette Marcaillou
Technicien : Nadège Antonini