Ma vie face au cancer (14/16) : compagnons des mauvais jours

Avec la maladie se nouent aussi des amitiés. Clémentine revient sur Marie et Gabriel. Deux rencontres de hasard devenues de précieux confidents. Des "compagnons" avec qui partager "les moments de fatigue, de découragement, ce qu'on ne peut pas dire à d'autres ".
Article rédigé par Clémentine Vergnaud, Samuel Aslanoff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Ma vie face au cancer, épisode 14 : compagnons des mauvais jours. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Clémentine Lecalot-Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023 après s'être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt. Elle avait 31 ans. Le 1er juin, le podcast auquel elle tenait tant était sorti. Dix premiers épisodes où elle racontait son combat face à la maladie, ses espoirs et ses doutes. Pour, disait-elle, "laisser une trace". Quelques semaines avant sa mort, depuis sa chambre d'hôpital, Clémentine a souhaité reprendre le fil de son témoignage. Voici le quatrième des six derniers chapitres de "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine".  

Ce qui est formidable avec le podcast, c'est que j'ai rencontré des gens qui ont vraiment été pour moi des compagnons de route. Ces compagnons de route, ce sont des malades du cancer. J'ai reçu plein de témoignages et je n'ai pas forcément accroché avec tout le monde, mais il y a eu des gens avec qui ça a été assez fondateur, avec qui les récits s'entrecoupaient totalement, ou étaient différents. Mais s'ils étaient différents dans le processus de maladie, ils étaient très raccord dans ce qu'on ressentait, dans ce qu'on vivait. Et ça, c'est quelque chose d'extrêmement riche.

Je ne peux pas tous les citer, mais il y en a au moins deux qui me viennent en tête, dont une qui est décédée il y a peu de temps. Elle s'appelait Marie, elle avait quelques années de plus que moi, elle vivait à Toulouse et elle avait un cancer du pancréas. Et Marie et moi, on a été diagnostiquées presque en même temps. Malheureusement, elle avait deux enfants alors que moi, j'ai des beaux-enfants mais je n'ai pas d'enfant direct que je laisserai orpheline ou orphelin, le jour venu.

"Marie et moi, on était en miroir"  

Marie et moi, à chaque fois qu'il se passait un truc de son côté, il se passait un truc du mien. On était en miroir, en fait. Dès que j'avais une galère, que je me retrouvais à l'hôpital, je lui écrivais, et elle me disait : mais ce n'est pas possible, moi aussi il m'arrive ça... Et on a beaucoup échangé sur ces galères. Finalement, on en rigolait beaucoup, parfois on faisait un concours de qui vomissait le plus dans la journée... C'est débile, mais c'était des trucs comme ça. Et ne plus pouvoir faire ça, c'est... C'est terrible d'être confrontée à l'absence de l'autre alors que peut-être, quelque part, on se dit que l'autre ne va jamais s'en aller puisqu'il est malade, comme vous, en fait. C'est peut-être ça. Perdre Marie, ça a été horrible, très brutal. Elle m'a annoncé un dimanche soir que... Je savais que ça n'allait pas bien, et moi aussi, c'était un moment où je sortais du takotsubo*, donc ça n'allait pas non plus. Et elle m'annonce, le dimanche : "Écoute Clémentine, cette fois, ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient plus rien faire et que c'était fini".

J'en étais très mal, très triste, et j'ai essayé de trouver quelques mots. Et puis après, je me suis dit : tout ce que je peux faire, c'est de lui proposer de m'appeler quand elle veut et je vais lui laisser quelques jours pour respirer. J'imaginais très bien que, comme au début de la maladie, c'est le moment où tu dois annoncer à plein de gens que tu ne vas pas t'en sortir. Ça demande beaucoup d'énergie et beaucoup d'investissement et je me suis dit : voilà, je lui laisse quelques jours pour ça. Et malheureusement, ces quelques jours que j'ai laissé passer ont été trop longs. Le jeudi, sa sœur m'a envoyé un message pour me dire que ça y est, elle partait, qu'elle était en sédation profonde et continue, qu'elle entendait encore un peu ce qu'on lui disait mais que c'était fini. Et tout ce que j'aurais aimé lui dire, je ne le lui pas dit, dans l'affaire... Et ça, ça reste une perte immense et très brutale. Elle m'a apporté tellement de choses que j'aurais aimé pouvoir lui dire tout ce qu'elle m'a rendu. Ça, c'était Marie. C'était une belle personne et j'aimerais qu'on ne l'oublie pas parce que vraiment, elle était incroyable.  

Et puis il y a une deuxième personne que j'ai rencontrée totalement par hasard, sur Twitter : Gabriel. Il est rabbin. On n'a rien du tout en commun à la base, on n'a pas du tout le même cancer, mais Gabriel, c'est quelqu'un d'extrêmement spirituel, du fait de sa fonction. Et on s'est bien trouvés. On a souvent échangé sur nos impressions de cancéreux, notamment vis-à-vis des autres. Ce moment où au bout de six-huit mois, tu as l'impression que les autres se lassent : t'es pas mort, alors ça va, quoi, finalement ! Tous ces besoins qui étaient très écoutés, très entendus avant, le sont beaucoup moins. On a l'impression que, finalement, la maladie n'est plus tellement là : les gens finissent par banaliser et se dire que ce n'est pas un cancer très grave, puisqu'on est là. Au bout de six ou huit mois, si on n'en est pas déjà mort, c'est que ça va aller, en fait ! Et je pense que mine de rien, ça passe dans la tête de beaucoup de gens qui n'osent pas le dire.

"Malheureusement, je n'ai pas de bonnes nouvelles"

On a beaucoup parlé de toutes ces choses-là, comment on vit les choses, comment on envisage la fin, jusqu'où on est prêts à aller, de ce que ça représente, ces épreuves pour nous. Et je dois dire qu'on s'est trouvés mutuellement avec Gabriel. Il y a un truc sur lequel on est connectés. On comprend assez vite où veut en venir l'autre, on partage aussi les moments de fatigue, de découragement — "Je n'en peux plus, de toute façon à quoi ça sert"... Et ça fait du bien de pouvoir dire, parfois, ce qu'on ne peut pas dire à d'autres. Je ne veux pas dire qu'on ne peut même pas le dire à une psy, mais oui, il y a quand même deux ou trois trucs que ça fait du bien de balancer. Ce n'est pas qu'on sait qu'il n'y aura pas de jugement, mais on sait qu'on ne fera pas mal à le dire. C'est aussi ce qui fait qu'il est très difficile d'échanger avec les gens qui n'ont pas de cancer : parfois, on sait que ce qu'on dit, c'est presque cruel pour les autres de l'entendre. Là, on a cet espace où on sait qu'on peut tout se dire et ça fait du bien. Juste, ça libère.

Les réseaux sociaux m'ont aidée au moment de la sortie du podcast parce que je me suis sentie vraiment beaucoup moins seule. Recevoir ces flots de témoignages divers et variés, ça m'a vraiment aidée. Je me suis dit : déjà, je ne suis pas toute seule dans ma galère, il y en a d'autres. Dans la période actuelle, c'est devenu plus lourd, plus compliqué, parce qu'on prend une place dans la vie des gens. Ils vous disent : "Je ne vous connais pas, mais en fait, j'ai l'impression de vous connaître depuis toujours". Et c'est très gentil, c'est adorable, mais il y a un moment où ça devient épuisant, autant de sollicitations. Je ne sais plus à combien j'en suis.... J'ai au moins 50 à 70 messages auxquels je n'ai pas répondu, ne serait-ce que sur Instagram. Mais là, je n'y arrive plus. Et je suis dans une période où je ne le ferais plus, en fait, parce que je n'en suis plus rendue là. Les gens attendent toujours plus de nouvelles, ils attendent des bonnes nouvelles. Et malheureusement, je n'ai pas de bonnes nouvelles.

(*) Takotsubo : le syndrome de takotsubo, ou syndrome du cœur brisé, est une cardiomyopathie qui se déclenche souvent après un stress émotionnel ou une douleur intense. Les symptômes sont généralement les mêmes que ceux d'un infarctus.   

A suivre : toujours un coup d'avance


Production : Clémentine Lecalot-Vergnaud et Samuel Aslanoff. Réalisation : Laure-Hélène Planchet. Prise de son : Samuel Aslanoff. Mixage : Raphaël Rasson. Visuels : Stéphanie Berlu, Kelsey Suleau. Coordination : Pauline Pennanec’h.

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