Micro européen. Etonnante Autriche
Les bords du Danube viennois ont connu le jeudi 4 juin 2020 la plus importante manifestation contre le racisme en Europe.
Ils étaient plus de 50.000 participants, suivant la police, à manifester à Vienne en Autriche contre le racisme. Ce fut une des plus grandes manifestations que l’Autriche a connue depuis une vingtaine d’années et aussi la plus grande manifestation en lien avec les événements aux Etats-Unis en Europe, comme l’a précisé notre invité, le journaliste autrichien Danny Leder, correspondant du quotidien autrichien Kurier.
Cette manifestation officielle a surpris par son nombre les organisateurs, qui comptaient sur 500 ou 1000 participants. Les organisateurs sont un noyau d’Africains Autrichiens, dixit Danny Leder, les descendants des immigrés ou réfugiés arrivés en Autriche il y a quelques décennies, subissant naguère beaucoup de racisme et souvent l’arbitraire.
Aujourd’hui les seconde ou troisième générations de leurs descendants sont intégrées dans la société autrichienne, tel le premier journaliste "noir" à la télévision autrichienne, Stefan Lenglinger, né à Vienne en 1993 d’une mère ghanéenne. Et parmi ces organisateurs, une des pièces maîtresse est Mireille Ngosso, originaire de l’ancien Zaire, arrivée avec sa famille à l’âge de trois ans, aujourd’hui médecin et surtout élue sociale-démocrate à la municipalité de Vienne depuis le 20 juin 2018. Mireille Ngosso est la cheffe de district adjointe du 1er arrondissement, le centre-ville historique de la capitale, tout un symbole.
Mais l’événement le plus important réside dans le fait qu’en plus des manifestants "anti-racistes" présents, ces derniers ont été rejoints, par des classes entières de lycéens de Vienne, entre autre les enfants et petits-enfants de migrants, ou de réfugiés, l’expression d’une génération contre le racisme dont leurs parents ou grands-parents ont été les victimes. Et ces jeunes sont aujourd’hui plutôt séduits par le parti des Verts autrichiens.
Quant à la police viennoise, cette dernière a bien réagi à cette manifestation d’abord en élargissant le périmètre pour permettre aux manifestants de se mouvoir, ensuite on a pu voir le slogan américain "Black life matters", affiché sur les panneaux électroniques des véhicules de police.
L’immigration en Autriche
Qu'ils soient réfugiés ou immigrés, le phénomène de l’immigration en Autriche remonte aux années 80-90. L’Autriche était une nation vieillissante, déclinante, et aujourd’hui le phénomène est inversé. Aujourd’hui l’Autriche compte environ neuf millions d’habitants, un quart de la population est d’origine étrangère. Quant à Vienne la capitale, qui compte deux millions d’habitants, elle est la plus grande ville universitaire de langue allemande après Berlin, une ville extrêmement cosmopolite dont la moitié de la population est d’origine étrangère. Les réfugiés ou immigrés en Autriche sont issus de Roumanie, Hongrie, Slovaquie, d’Allemagne de l’Est, de Bosnie-Herzégovine, Serbie, Croatie, Syrie, Tchétchénie, Afghanistan et une très part historique de Turquie.
Des contentieux dans les milieux immigrés en Autriche
Comme le rappelle le correspondant à Paris du quotidien autrichien Kurier, Danny Leder, le poids du fondamentalisme n’est pas anodin dans les milieux musulmans viennois, de nombreux départs pour le djihad ont été signalés, et tant la municipalité de Vienne que le gouvernement autrichien, doivent faire face à une radicalisation d’une partie minoritaire mais importante dans la jeunesse musulmane, plutôt virulente contre les minorités sexuelles et vis-à-vis des juifs, des comportements que la société autrichienne n’est pas prête à accepter.
Enfin, un contentieux existe avec la Turquie du Président Erdogan, qui cherche à garder la main haute sur l’immigration turque en Autriche, aussi des intimidations contre les Kurdes autrichiens. Une politique sociale historique Comme l’explique Danny Leder, même s’il existe des "frictions" entre les jeunes issus de l’immigration et la police de Vienne et que naguère le pays a connu des scandales suite aux décès de migrants, l’effet est moindre dans la capitale autrichienne qu’ailleurs en Europe.
Une des principales raisons réside dans la politique sociale-démocrate de la mairie de Vienne, qui a œuvré de longue date en faveur d’une mixité sociale et d’accueil. Vienne possède une très ancienne tradition de logements sociaux et ce bien avant la seconde guerre mondiale, puisqu’il existait déjà une gestion sociale de la ville, la capitale autrichienne était appelée "Vienne la Rouge".
Pour preuve un ensemble de HLM situé dans le quartier de Heiligenstadt à Vienne, le "Karl Marx Hof", un ensemble de logements sociaux d’un kilomètre de long réalisé entre 1927 et 1930 par l'architecte autrichien Karl Ehn, comptant 1.383 appartements.
Une bonne santé économique qui favorise le social
Cette généreuse politique est aussi possible grâce à la bonne santé économique de l’Autriche. Le pays a beaucoup profité de la manne européenne. Son industrie et son commerce sont devenus très exportateurs, ceci s’étant renforcé par la chute de l’Union Soviétique, où l’Autriche a pu récupérer des marchés importants dans les anciennes possessions de l’Empire austro-hongrois, de Prague à Budapest en passant par Bratislava, Zagreb et Ljubljana.
L’Autriche a pu s’étendre au niveau bancaire dans les pays de l’ex-Yougoslavie, la Slovénie ou la Croatie avec les caisses d’épargne autrichiennes entre autre. Mais cette politique sociale généreuse sera bientôt l’enjeu des prochaines élections municipales d’octobre 2020, entre le SPÖ, parti social-démocrate allié aux Verts, Die Grünen, opposés à l’ÖVP, les conservateurs.
Le club des Radins
Si le chancelier conservateur Sebastian Kurz élu en 2017 et formant un gouvernement de coalition avec l’extrême droite le FPÖ, cette coalition a volé en éclat suite, en mai 2019, à un scandale qui a fortement entaché le patron du FPÖ et vice-chancelier, Heinz-Christian Strache. Depuis septembre 2019, Sebastian Kurz dirige avec une autre coalition, les Verts, Die Grünen. Et aujourd’hui, le chancelier autrichien est considéré comme faisant partit du "club des Radins", soient les états membres européens, Autriche, Suède, Danemark et Pays-Bas qui se sont opposés à la démarche Merkel-Macron pour un plan de relance pour les pays du sud de l’Europe les plus touchés par l’épidémie de coronavirus.
Le chancelier Kurz s’oppose à ce projet et propose plutôt un remboursement de prêts, quand le plan Merkel Macron part plutôt du principe d’un soutien dit généreux. Mais pour l’heure, rien n’est encore joué car les Verts gouvernant avec Sebastian Kurz lui sont opposés, préférant le plan Merkel-Macron.
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