Cet article date de plus de trois ans.

Micro européen. Mario Draghi, l’homme providentiel pour l’Italie ?

Le nouveau président du Conseil italien écrira-t-il une nouvelle page de l’histoire italienne ?

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Le nouveau Premier ministre italien Mario Draghi arrive au Sénat, le 17 février 2021 à Rome.  Il a appelé à "reconstruire" le pays frappé de plein fouet par la crise sanitaire et économique.   (ALBERTO PIZZOLI / AFP)

Mario Draghi, 73 ans, est le nouveau président du Conseil italien, soit le Premier ministre du gouvernement italien. Chargé de former par le président de la République italienne, Sergio Mattarella, un gouvernement de haut niveau sans formule politique, soit une union nationale pour le pays. Le gouvernement de la République italienne étant responsable devant les deux chambres du Parlement.

Le siège du gouvernement est le Palais Chigi, situé sur la piazza Colonna à Rome. Le gouvernement de Mario Draghi est le 67e gouvernement de la République italienne depuis le 13 février 2021, sous la XVIIIe législature du Parlement républicain italien, depuis la création de la République italienne en 1946.

Mario Draghi, économiste de formation, professeur des universités, a été le vice-président pour l'Europe de Goldman Sachs de 2002 à 2005. Goldman Sachs est une banque d’investissement créée en 1869 à Manhattan à New York. Mario Draghi a été ensuite gouverneur de la Banque d'Italie de 2006 à 2011, et président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019.  

Le gouvernement Draghi 

Ce gouvernement est constitué par une coalition politique dont voici les membres : le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo (Movimento 5 Stelle), parti anti-système ; la Ligue (Lega Nord) de Mateo Salvini, parti régionaliste et populiste eurosceptique ; le Parti démocrate (Partito Democratico), parti de centre gauche de Valentina Cuppi ; Italia Viva, le parti de Matteo Renzi de centre gauche démissionnaire du Parti démocrate, Matteo Renzi ayant fait tomber le gouvernement Giuseppe Conte ; Forza Italia, le parti de centre droit de Silvio Berlusconi ; Libres et égaux (Liberi e Uguali), un petit parti démocrate de gauche et progressiste dirigé par Pietro Grasso, ancien magistrat engagé dans la lutte contre la mafia, il a été aussi président du sénat de 2013 à 2018 ; le Centre démocrate (Centro democratico)  de Bruno Tabacci, parti de centre-centre gauche ; Nous avec l’Italie (Noi con l'Italia), une coalition de centre-droit dirigée par Raffaele Fitto et enfin Europa, parti libéral et europhile, la fondatrice étant Emma Bonino, grande figure politique italienne et européenne, féministe issue du parti radical de Marco Pannella, aussi grande figure de la vie politique italienne.

Comme l’a annoncé notre invité Daniele Zappala, correspondant du quotidien Avvenire à Paris, ce gouvernement est "une salade niçoise", quand certains observateurs italiens comparent le gouvernement Draghi à un "poulailler". Il manque à ce gouvernement le parti Frères d’Italie (Fratelli d’Italia), parti souverainiste et nationaliste, dirigé par Giorgia Meloni. Fratelli d’Italia est l’incipit de l’Hymne italien, Inno di Mameli. Giorgia Meloni sera l’observatrice de ce gouvernement dans l’opposition, et attend peut-être de récolter les fruits des (éventuels) futurs déçus du "Draghisme". Ce gouvernement dispose de 545 députés sur 630, et 266 sénateurs sur 321.

Néanmoins, si Mario Draghi ratisse large pour l’unité nationale, comme en 1945, beaucoup de postes clés sont confiés non pas seulement à des "politiques" mais à des proches, technocrates, financiers, entrepreneurs, de la périphérie Draghi. Pour autant, sera-t-il un gouvernement majoritaire, on peut en douter car le nuancier politique italien représenté au sein du gouvernement Draghi n’offre que deux issues, une situation binaire, soit un échec total amenant l’Italie à une énième crise mettant en danger les structures de la République italienne, soit un succès total, dans ce cas on pourrait se demander à quoi serait dû ce succès… 

"Super Mario"

Il faut dire que Mario Draghi a réussi une prouesse impossible en Italie. Si sa cote de popularité atteint les 71%, Super Mario, comme l’appelle les Italiens, que Berlusconi ou Renzi le suivent n’est pas étonnant, en revanche qu’il ait rallié la grande Emma Bonino, ce qui n’est pas rien, quand on connaît le parcours de cette féministe qui militait il y a un demi-siècle pour le divorce et l’avortement légal, alliée à Marco Pannella, un couple politique qui a fait les grandes heures de la politique italienne des années 70. Mais Super Mario ne s’est pas arrêté là.

Autre performance amenée à lui, Matteo Salvini, voire le rendre européiste, le patron de la Ligue ayant derrière lui une partie du patronat du nord, idem en obtenant la confiance de Beppe Grillo, le comique italien de Mouvement 5 étoiles antisystème, proclamant avec enthousiasme que l’on pouvait suivre Mario Draghi. À n’en pas douter, soit Mario Draghi est un maître d’œuvre inconnu encore de la politique italienne, soit il est le "flûtiste de Hamelin", mais dans les deux cas, personne ne peut rien prédire pour l’heure. 

"Super Mario" le jésuite 

Tous les commentateurs italiens le rappellent, Mario Draghi, élevé chez les Jésuites, en a gardé cette démarche très jésuitique qui lui est propre. Parcours sans faute pour le bon élève, c’est homme influent sachant utiliser les réseaux qu’il a connus tout au long de sa carrière. On parle de lui comme l’homme providentiel pour l’Italie en le comparant au Général de Gaulle de 1958. Catholique social, tennisman et golfeur, fils de banquier (déjà), Super Mario est pour certains un homme pragmatique, pas dogmatique, sachant s’adapter aux circonstances, il l’a prouvé dans son parcours.

Sachant jouer d’un côté mystérieux, ses études à Rome se déroulent à l’Institut Massimiliano Massimo, institut jésuitique (l’équivalent de Deusto en Espagne) où il partagera les mêmes bancs de l’élite économique italienne à venir. Licencié en économie à La Sapienza, la grande université italienne, il sera diplômé d’un doctorat de recherche là aussi au prestigieux, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston. Professeur à l'université de Trente, puis de Padoue, Venise et Florence, Mario Draghi sera aussi directeur exécutif à la Banque mondiale, puis rejoindra la branche européenne de Goldman Sachs. Il deviendra ensuite directeur général du Trésor italien, puis président de la Banque centrale européenne. Les spécialistes parlent d’un sans-faute concernant sa gouvernance à la BCE, on l’appelle le sauveur de l’euro…

Après son départ de la BCE il sera nommé par le pape François (autre jésuite) à l'Académie pontificale des sciences sociales, c’est-à-dire le groupe de réflexion du Saint-Siège, composé entre autres, du prix Nobel Joseph E. Stiglitz et de l'économiste Stefano Zamagni, qui préside l’Académie pontificale des sciences sociales. Joseph E. Stiglitz est l’homme qui a critiqué le FMI et la banque mondiale, le créateur du "salaire d’efficience". Enfin, Mario Draghi est depuis toujours marié à une aristocrate italienne, Serena Cappello, descendante de Bianca Cappello, maîtresse et seconde épouse du grand-duc de Toscane François 1er de Médicis. On comprend après un tel parcours que Super Mario soit un homme de réseaux. 

Entre consensus et plan de relance  

Aujourd’hui, Mario Draghi fait consensus, c’est un fait. Il va devoir gérer un plan de relance de 209 milliards d'euros. Un plan de relance qui sera accompagné de réformes structurelles prévues jusqu’en 2023. Parce que l’Italie est la troisième économie européenne, fort mal en point, Mario Draghi est face à une épidémie qui a fortement affaibli l’économie italienne, il faudra gérer au mieux la question du coût des retraites, mais surtout la transition écologique, pourvue maintenant d’un ministère, donc consensus devra aller de pair avec reprise économique.

En plus de porter le lourd fardeau d’une renaissance du système politique démocratique transalpin, le président du conseil italien devra faire preuve d’habileté et de compromis, sans compromissions, pour redonner confiance aux électeurs italiens quant à un quotidien différent post-covid, en retrouvant un pouvoir d’achat qui fait défaut. 

L’autre "Super Mario"

Mario Draghi n’est pas seulement l’homme au grand parcours professionnel, il est aussi celui que certains souhaitent voir à la suite de Sergio Matarella, l’actuel président de la République italienne. Et pourquoi pas le Palais Quirinal, dit-on à Rome, ce serait logique après la présidence du Conseil italien. Oui mais… L’accession à la résidence du président de la République italienne pose aujourd’hui question, alors que Mario Draghi vient tout juste d’entrer en fonction. Parce que les élections présidentielles sont prévues en février 2022, soit moins d’un an à compter d’aujourd’hui, et qu’il serait inenvisageable que le président du Conseil veuille quitter sa fonction pour la plus prestigieuse élection, alors qu’il n’aura pas accompli son devoir de relance et de maintien de la démocratie, avec ou sans le fameux consensus des partis politiques d’ici 2022.

Pour autant, les politologues italiens théorisent sur la possibilité que le président Sergio Mattarella se représente pour un nouveau mandat de sept ans, laissant le temps à Mario Draghi de mener les réformes essentielles jusqu’en 2023, année des élections législatives, puis choisissant de quitter la présidence en faveur de son président du Conseil. Tout est possible en politique, ici ou ailleurs… 

Draghi, l’Européen 

Pour ses partenaires européens, Mario Draghi est un homme apprécié, d’abord d’Angela Merkel, qui quittera la chancellerie en septembre prochain, puis le président français Emmanuel Macron. Or, hasard ou pas du calendrier, le président du Conseil italien prendra la présidence tournante du G20 en mai prochain. L’heure lui serait favorable pour celui qui bénéficie de la confiance allemande et française, soit les trois économies majeures de l’Union européenne, et le temps politique européen serait propice à Mario Draghi.

Tout d’abord, l’arrivée de Mario Draghi permettrait, beaucoup le souhaitent, d’une union entre les deux cousins, à savoir la France et l’Italie. Cette union serait préventive face à l’échéance de l’élection allemande de septembre prochain pour la Chancellerie. Les politologues allemands s’accordent à dire qu’une victoire des Chrétiens-Démocrates est plus que probable. Mais c’est ici que le bât- blesse. Les caciques de la CDU n’excluent nullement que le futur chancelier soit ou ne soit pas l‘actuel président de la CDU, Armin Laschet, et rien ne dit qu’ils lui préfèrent le président de la CSU, le bavarois Markus Söder. Il est vrai que Söder paraît plus volontaire que le très "merkelien" Laschet.

Autre facteur qui n’est pas à négliger, lors de la réunion du Club Valdaï, le club de discussion internationale russe, le 22 octobre dernier, Vladimir Poutine a exprimé dans son intervention que la Chine se dirige vers une position de super puissance mondiale, ajoutant que l’Allemagne se dirige vers une position similaire. Rien ne nous dit qui sera le locataire de la Willy-Brandt-Straße en septembre prochain, ce qui laisse peu de temps à une vraie union entre l’Italie et la France dans l’Union européenne, qui serait un contre-poids face à une Allemagne partenaire, au risque qu’elle soit omnipotente. L’Italie vient de se doter d’un homme providentiel, à la providence de bien doter l’Italie…     

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.