Artistes et intelligences artificielles : un combat à mort ?

La multiplication des productions (photos, vidéos, musiques...) générées par des intelligences artificielles inquiète les créatifs de voir leurs œuvres pillées pour éduquer les algorithmes. Tandis que les IA, alimentées par les seules publications d'autres IA fournissent pour l'instant de piètres résultats.
Article rédigé par Nicolas Arpagian
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Les artistes et les créatifs s'inquiètent à juste titre de voir leurs oeuvres pillées par l'IA générative. Des chercheurs travaillent sur des logiciels pour aider les artistes à protégers leurs créations originales. (Illustration) (BRUCE ROLFF/STOCKTREK IMAGES / STOCKTREK IMAGES / GETTY IMAGES)

Nos réseaux sociaux sont désormais inondés de publications plus ou moins esthétiques, conçues par de l’intelligence artificielle. Ces réalisations, qui peuvent être des textes, des images, des sons ou de la vidéo, sont fabriquées par ce qu’on appelle de l’IA générative.

Ces algorithmes élaborent ces productions en puisant dans des bases de données. Ainsi, si vous lui commandez une image de vache, celle-ci sera essentiellement composée à partir de l’ensemble des photographies de vache présentes dans la bibliothèque, ayant servi à éduquer son algorithme.

Ce mode opératoire explique que les personnes ou les entreprises qui réalisent des contenus originaux s’inquiètent que leurs travaux, notamment ceux accessibles en ligne, soit utilisés, voire pillés, pour alimenter la capacité productive des IA.

Des procès en cascade pour défendre les créateurs

On constate une multiplication des contentieux. À l’instar des procédures judiciaires que le Wall Street Journal ou le New York Post aux Etats-Unis ont intentées en octobre 2024, devant la Cour fédérale de New York, contre la société Perplexity AI. Ou ces trois créateurs qui poursuivent en 2023, devant un tribunal californien, des plateformes de génération d’images comme MidJourney, au motif qu’elles permettent de concocter à volonté des œuvres "dans le style" de ces trois artistes, grâce à des consignes (prompts) incluant leurs noms et prénoms. De tels procès se multiplient à travers la planète.

Il faut d’abord prendre en compte toutes les œuvres qui ont d’ores et déjà été enregistrées, à l’insu de leurs créateurs, au sein des bibliothèques documentaires des IA génératives. Ensuite, il est toujours complexe d’établir qu’une partie de votre œuvre se retrouve dans un fragment de la fresque livrée par les algorithmes.

Enfin, des dispositions juridiques et techniques peuvent être prises pour que des publications en ligne ne puissent pas être automatiquement captées par les automates qui procèdent à ces collectes de masse. Avec un aléa sur l’efficacité réelle de telles mesures sur la durée.

Des technologies pour venir en aide aux artistes ?

C’est ce que promettent des chercheurs de l’Université de Chicago, avec un logiciel baptisé GlazeIls proposent aux artistes de protéger leurs créations originales, en les soumettant à un algorithme qui modifiera de manière imperceptible leurs œuvres. En changeant leur style. Mais sans ce que cela soit visible par l’œil humain.

Cela correspond à un empoisonnement de modèle : seul l’algorithme des IA génératives est leurré par cette nouvelle image, modifiée juste pour lui.

Bien sûr, on ne peut pas considérer que cette technique sera toujours performante. Dès lors que l’on assiste à une adaptation continue entre le glaive et le bouclier : les moyens de défense et ceux de l'attaque. Ce mode de protection pourra donc certainement être contourné à terme.

Des intelligences artificielles mal nourries par d'autres IA

Différentes études établissent que le recours à des données générées par l'intelligence artificielle pour enrichir un modèle d’IA, conduit inéluctablement à l’écroulement de la qualité de ses résultats.

Une expérience présentée dans la revue Nature en juillet 2024, par des universitaires de Cambridge (Grande-Bretagne), montre très bien la rapide dégradation des images proposées par une IA alimentée exclusivement par des productions artificielles.

Même son de cloche du côté de l’Université de Rice aux Etats-Unis : leurs analyses établissent les effets délétères des résultats se nourrissant seulement de contenus nés de la mécanique des algorithmes.

Tous les arts sont exposés à la vague de l'IA

Aujourd’hui, les IA génératives proposent d’élaborer des textes – même de la poésie – des images, des vidéos, de reconstituer des voix. Le CNRS a ainsi pu créer une version de l’Appel du 18 juin avec celle du Général de Gaulle, dont aucun enregistrement n’a été retrouvé, des cris d’animaux ou des évènements naturels comme le tonnerre ou le ruissellement de l’eau.

Des sites offrent – comme Suno.Ai moyennant quelques éléments de contexte, de vous livrer une chanson de deux minutes avec des paroles et une musique personnalisées.

Avec la possibilité de changer à votre guise de style (rap, folk, métal…), et la voix de l’interprète. Des formules d’abonnement permettent d’acquérir ainsi plusieurs centaines de chansons complètes par jour.

Une remise en question de la démarche artistique ?

Bien sûr, la technologie n’empêchera pas les humains de créer. Toutefois, la capacité productive des IA génératives oblige les artistes, et également le public que nous sommes tous, à nous intéresser au fonctionnement et aux conditions d’élaboration de ces contenus qui défilent sous nos yeux à longueur d’écrans. Pour apprécier les œuvres en toute connaissance de cause.

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