Quelle vie numérique après notre mort ?

Gestion de ses comptes sociaux, accès à son coffre-fort numérique, élaboration d'avatars personnalisés avec les traits de caractère du défunt... les technologies s'invitent dans nos existences post-mortem.
Article rédigé par Nicolas Arpagian
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Les Français détiennent généralement six comptes sur les plateformes sociales. En cas de décès, quid de votre existence numérique ? Vous pouvez prévoir vos souhaits avec des consignes claires dans votre testament. (Illustration) (BYAKKAYA / E+ / GETTY IMAGES)

Environ 80% de la population française utilise des réseaux sociaux, en leur consacrant presque deux heures par jour. Les Français détiennent généralement six comptes sur les plateformes sociales. Autant d’occasions de publier des textes, des vidéos, son CV et des multitudes de photographies. Sans oublier les inscriptions aux sites de rencontres. Une existence numérique qui va perdurer au-delà du décès des personnes. Un profil sur un réseau social et un compte de messagerie sont en principe soumis au secret des correspondances.

La loi du 6 janvier 1978, dite Informatique et Libertés, ne prévoit pas la transmission automatique des droits d’accès, de modification et de suppression de ces données numériques aux héritiers. Par conséquent, sans dispositions particulières, ils ne pourront pas y avoir accès au décès de leur titulaire.

Prévoir le sort de ses comptes sociaux dans son testament 

C’est la solution la plus simple. En désignant explicitement une personne qui se chargera du devenir des comptes, après votre décès. Avec des consignes claires, par exemple pour que les données soient supprimées ou désactivées.

Selon l’article 85 de la loi Informatique et Libertés, les héritiers peuvent :

  • faire procéder à la clôture des comptes du défunt,
  • s'opposer à la poursuite des traitements de données à caractère personnel le concernant,
  • ou faire procéder à leur mise à jour.

Sur présentation d’un acte de décès, certains sites comme Facebook proposent d’attribuer au compte le statut de "mémorial", pour figer le contenu, et signaler ainsi aux visiteurs que la personne est décédée.

En l’absence de testament, un réseau social ne peut donc pas supprimer un compte de son propre chef, l’inactivité du compte n’étant pas un critère pertinent. Car il ne sait a priori pas faire la différence entre un compte inactif par choix délibéré ou on raison du décès de son titulaire.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) rassemble sur son site les liens pointant vers les pages de signalement de décès, des principales plateformes sociales.

Transmettre les clés du coffre numérique

La dématérialisation croissante de nos démarches administratives (factures, bulletins de salaire, justificatifs d’achats, résultats d’analyses médicales…) a incité à l’ouverture de coffres-forts numériques, comme par exemple, la solution Digiposte, proposée par La Poste. Mais cela le notaire l’ignore.

Il s’agit donc de renseigner la rubrique "contact de confiance" qui autorise la personne désignée, et qui l’a accepté, d’accéder aux documents et données contenus dans le coffre, si son propriétaire était dans l’incapacité d'y accéder lui/elle-même. Or, à ce jour, les souscripteurs ayant documenté cette rubrique sont encore minoritaires, parmi les plus de 11 millions de personnes détentrices d’un coffre Digiposte. 

L’intelligence artificielle pour "ressusciter" les morts ?

Pas pour les ramener à la vie, certes. Mais bien pour reconstituer des avatars numériques qui se nourriraient de la quantité de courriels, SMS, messages vidéo, et autres publications en ligne, pour alimenter une personnalité qui nous ressemblerait. Elle reprendrait nos blagues, nos anecdotes et nos traits de caractère. C’est ce que proposent des sites gratuits ou payants comme Replika, qui d’ailleurs a été fondé en 2018 par une femme qui souhaitait pouvoir échanger avec un ami décédé dans un accident. On parle alors de "chatbot émotionnel".

Il y a manifestement une demande car les boutiques d’applications des grandes plateformes d’IA comme OpenAI proposent des dizaines d’ "amies" animées par l’intelligence artificielle. Des robots humanoïdes, aux traits essentiellement féminins, ayant vocation à remplacer une relation avec une vraie personne.

Outre ce que la technologie rend désormais accessible, il convient de s’interroger sur l’impact psychologique sur les humains que nous sommes. Ce transfert à des algorithmes de sentiments bien réels est de nature à créer des troubles affectifs. Et à remettre en question le processus naturel de deuil.

Et ces machines numériques restent à la main des programmeurs, qui peuvent – par des modifications algorithmiques – modifier la personnalité de votre avatar. Quitte à perturber les utilisateurs qui avaient pris l’habitude d’interagir avec ces personnages numériques. Avec de véritables risques de dépendance affective.

Sans oublier ce qu’il advient de l’ensemble des données collectées lors de ces interactions, qui peuvent se révéler très intimes, et donc porter sur des sentiments, votre état de santé ou vos préférences sexuelles. Une mine d’informations pour conduire des opérations de profilage des individus. Notamment à des fins commerciales.

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